Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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compatibles avec leur caractère. Tel est aujourd’hui l'esprit.

de justice qu'on inculque à la multitude: quiconque ne pense pas comme ses adulateurs est digne de mort. » Dans l'enceinte et les entours de la Convention c'était bien pis encore ; au bruit du canon et du tocsin, les nerfs se tendaientet les passions s’exaspéraient. Dans un pareil milieu les diver= gences d'opinion n'étaient même pas nécessaires pour faire naître les haines implacables; l'opposition des caractères et des tempéraments suflisait. Deux natures aussi différentes que celles des Danton et de Robespierre, par l’antipathie mutuelle et instinctive, devaient être fatalement rivales. Mallet du Pan, dans un écrit du 8 mars 1794, montre Robespierre « dès le mois de novembre (1793), pour tenir tête aux Hébertistes s’unissant à Danton, son ennemi mortel, mais menacé comme Jui? ».

Puis sur tous ces hommes nuit et jour planait la crainte.

Non pas qu'ils manquassent de courage, car ils ont vu venir

ss

la mort sans frémir, la mort sur l’échafaud et d’ailleurs, à cette époque, presque tous, hommes et femmes, savaient mourir. Mais ils craignaient la défaite, l'écroulement de leur œuvre, le triomphe de la royauté restaurée. Cette monarchie française, vieille de tant de siècles, riche de tant de gloires, et qu'ils avaient jeté à bas en quelques années, leur paraissait un tel colosse, qu'ils ne pouvaient croire à sa chute durable: En même temps leur tâche était si prodigieuse qu'ils désespéraient de la mener à bien. De là les méfiances mutuelles, les accusations promptes et terribles : tout homme, au moin= dre accident, devenait pour eux un ennemi et un traître. C'était leur tête qui répondait de tout. Et ils élaient rivés à leur poste. « L'abdication même est interdite, écrivait Mallet du Pan, Hérault et Barère en ont fait l'épreuve * » et c'est en vain que « Danton travaille à s’éclipser et ne paraît que de loin en loin * ».

Mallet a dépeint cette crainte d'une manière saisissante dans le rapport qu'il adressa Le ÿ mars 1794 à lord Elgin sur le

1. Mémoires, t: I, p. 203. — 2. Mémoires, t. I, p. 63. 3. Mémoires, t. IL, p. 57.— 4. Mémoires, t. IE, p. 58.