Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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Mallet du Pan adresse à la Révolution, quand elle bat son plein, un autre reproche qui est de nature à intéresser nos contemporains. Il l’accuse de porter en elle le socialisme et d'en vouloir à la propriété privée. Voici ce qu'il écrit à lord Elgin en novembre 1793, en cherchant ce qu'elle sera dans l'avenir : « Pour former à cet égard quelque conjecture probable, il faut la prendre au moment actuel, c’est-à-dire à l’époque où le déplacement de la puissance se trouve entièrement consommé: or, une maxime invariable, c'est que le déplacement de la puissance étant une fois consommé amène

inévitablement le déplacement de la propriété. Rien ne peut

empêcher celui qui a la puissance d’avoir également du pain ; et la possession effective de l'égalité des droits n’est précieuse pour l’indigent que par l'égalité du bien-être. On doit donc être convaincu que la dissolution totale des propriétés, à laquelle la Convention a résisté pendant quelque temps, est une conséquence forcée de la position où elle se trouve, et qu'un mouvement irrésistible l'y entraînera!. » Cela est très frappant et Mallet, devançant les temps, produit là des idées qui nous sont familières : on croirait lire le passage capital de certain discours prononcé par M. Jaurès à la Chambre des députés ?. Il cherche d’ailleurs à établir sa thèse par des faits : « On n’a qu'à se rappeler les principes que professait déjà, il y a un an, une députation du département du Gard à J’Assemblée : elle demanda expressément qu'il fût assigné une somme de 250 millions pour indemnité au cultivateur, pour

1. Mémoires, t. I, p. 399.

2, C'est un thème souvent développé par le brillant orateur que l'égalité dé droit doit fatalement entraîner l'égalité de fait, Voyez déja ce passage d’un discours prononcé à la séance du 21 novembre 1893 (Discours parlementaires, t. 1, p. Ago) : « Par le suffrage universel et par la souveraineté nationale, qui trouve son expression définitive et logique dans la République, vous avez fait de tous les citoyens, y compris les salariés, une Assemblée de rois... mais au moment même où le salarié est souverain dans l'ordre politique, il est dans l’ordre économique réduit à une sorte de servage... Et tandis que les travailleurs n'ont pas à payer dans l’ordre politique une liste civile de quelques millions aux souverains que vous avez détrônés, ils sont obligés de prélever sur leur travail une liste civile de plusieurs milliards pour rémunérer les oligarchies oïsives qui sont les souverains du travail. »