Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

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que moins nettes, dans les lettres de Morellet à lord Shelburne. Il lui écrit le 18 avril 1792 : « Je vois dans le gouvernement qu'on nous a donné la destruction entière de tout gouvernement, une anarchie complète, une anarchie établie, organisée ; la violation légale de toutes les propriétés ; la domination absolue des pauvres armés contre les riches opprimés et désarmés; et tous ces désordres ne faisant encore que de naître, ayant déjà causé des maux infinis et menaçant d’en causer mille fois davantage !. » Précédemment il disait (24 septembre 1789): « Personne n’est mieux en état que vous de juger s'il est possible de maintenir’ la paix publique dans une nation de 24 millions d'hommes, de deux cents lieues de diamètre, où le gros du peuple est ignorant jusqu’à la grossièreté, pauvre jusqu'à la profonde misère, sans idée véritable d'ordre public, de propriété, de morale, s’il est possible, disje, de tenir en paix un tel peuple, lorsque toute force réprimante est décomposée et détruite ?. »

Mais cela s'explique par les idées propres de Morellet, qui sont celles des physiocrates. Ce n’est point le communisme qu'il craint ; mais il pense que la propriété, la propriété foncière, source de toutes les richesses, est la pierre angulaire de l’État. C’est elle qui devrait seule conférer le droit de sulfrage, c'est elle qui seule devrait être représentée dans les assemblées. Le 22 juin 1789 il parle de « nos Brutus et de nos Cassius modernes ». — « Je les assimile, dit-il, à vos levellers et en cela je ne les approuve plus. Ces messieurs croient que toute question est décidée et tout droit déterminé quand on a compté les têtes et il me semble que c’est là la théorie d’une société de peuples nomades ou chasseurs chez lesquels la propriété n'est pas encore établie ; mais qu'elle ne saurait convenir à une société ancienne où la propriété est une loi fondamentale, et où c’est une autre loi fondamentale de respecter la propriété et ses droits. Or, parmi ces droits ne pensez-vous pas, mylord, ainsi que moi, que c'en est un qui appartient aux propriétaires, à ceux qui ont seuls un intérêt direct ét imvariable à la prospérité nationale, à la modé-

1. Op. cit, p. 305. — 2. Op. cit., p. 279.