"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES SOURCES : « CHANTS GRECS ».

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tu ne crains sur la terre aucun guerrier. Mais tu dois mourir, Marko, de la main de Dieu, l’antique tueur 1 . » En tous pays la poésie populaire se ressemble ; le cheval, compagnon inséparable des héros qu'elle chante, s'y retrouve loué pour les mêmes qualités et pour les mêmes services. Nous comprendrons donc que Mérimée traitant d'un pareil sujet ait atteint tout naturellement au ton de la vraie poésie populaire serbo-croate. Qu’est-ce donc que fait la valeur littéraire de ces poèmes si les sujets n'en sont pas nouveaux ? Hâtons-nous de le dire, c'est la manière dont ils sont traités. Sous les murs de la forteresse de Kloutch nous assistons à un véritable combat avec tous ses épisodes, tels qu’on peut les imaginer dans ces temps où l’on se battait presque corps à corps ; ce père qui du haut des murailles voit la tête tranchée de son fils, promenée au bout d’une pique; ce mur tout « percé de boulets comme un rayon de miel »; la trahison; les injures que s'adressent les adversaires en présence : tout cela donne l’illusion delà réalité. Le récit est court et rapide; il nous fait passer d’émotions en émotions ; trois scènes des plus dramatipues en quelques lignes : l’apparition saisissante du spectre, l’entrevue du roi avec Mahomet 11, la mort du parricide; et il semble que rien n’y manque. Peut-on mettre plus de couleur et plus de vie dans ce bref exposé de la bataille de Zenitza-Velika : « Quand les Calmâtes ont vu nos étendards desoie jaune, ils ont relevé leurs moustaches, ils ont mis leurs bonnets sur l’oreille »... Gestes fanfarons avec lesquels leur lâcheté fera un singulier contraste ; le scintillement des sabres, le hennissement des chevaux, la fuite précipitée des poltrons insolents ; le serment de vaincre ou de mourir

1 A. Dozon, L'Épopée serbe, pp. 116-117.