"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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chapitre v.

conduit à la mort ou à la misère, mais toujours à la gloire. Dans une des plus jolies ballades qui se rattachent au cycle de Marko Kraliévitch, ce héros légendaire chevauche avec son pobratime Miloch, à travers une forêt et le prie de lui chanter quelque chanson ; il s’endort et la blanche Vila de la montagne, jalouse de la voix superbe du beau Miloch, perce avec une flèche la gorge du chanteur. Il faut voir alors la grande colère de Marko et l’ardeur avec laquelle il poursuit la Vila pour la forcer de guérir son pobratime ! Sur l’amitié, Mérimée a trouvé chez Fortis les renseignements suivants qu’il a reproduits dans une des notes qui accompagnent la Flamme de Perrussich :

Fortis : L’amitié, si sujette parmi nous au changement pour les causes les plus légères, est très durable chez les Morlaques. Ils en font presqu’un article de foi, et c’est au pied des autels qu’ils en serrent les nœuds sacrés. Dans le rituel esclavon il se trouve une formule pour bénir solennellement, devant le peuple assemblé, l’union de deux amis, ou de deux amies. J’ai assisté à une cérémonie de cette espèce dans l’église de Perrussich où deux jeunes filles se firent posestré. Le contentement quibrillait dans leurs yeux, après la formation de ce lien respectable, montrait aux spectateurs de quelle délicatesse de sentiment sont susceptibles ces âmes simples, non corrompues par les sociétés que nous appelons cultivées. Les amis unis d’une manière si solennelle prennent le nom des pobratimi et les amies celui des

Mérimée : L’amitié est en grand honneur parmi les Morlaques, et il est encore assez commun que deux hommes s'engagentl’unà l'autre par une espèce de fraternité nouvelle. Il y a dans les rituels illyriques des prières destinées à bénir cette union de deux amis qui jurent de s’aider et de se défendre l’unl’autre toute leur vie. Deuxhom mes unis par cette cérémonie religieuse s’appellent en illyrique pobratimi, et les femmes posestrime, c’est-à-dire demi-frères, demi-sœurs. Souvent on voit les pobratimi sacrifier leur vie l’un pour l’autre, et si quelque querelle survenait entre eux, ce serait un scandale aussi grand que si, chez nous, un fils maltraitait son père. Cependant, comme les Morlaques aiment beaucoup les liqueurs fortes, et