"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

les sources : FORTis (suite').

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posestrimé, qui signifient demifrères et demi-sœurs 1 . Dans ces amitiés, les Morlaques se font un devoir de s’assister réciproquement dans tous les besoins, dans tous les dangers, et de venger les injustices que l’ami a essuyées. Ils poussent l’enthousiasme jusqu’à hasarder et donner la vie pour le pobratime. Ces sacrifices mêmes ne sont pas rares, quoiqu’on parle moins de ces amis sauvages que des Pylades des anciens. Si la désunion se met entre deux pobratimi, tout le voisinage regarde un tel événement comme une chose scandaleuse. Ce cas arrive cependant quelquefois de nos jours, à la grande affliction des vieillards morlaques, qui attribuent la dépravation de leurs compatriotes à leur commerce trop fréquent avec les Italiens. Mais le vin et les liqueurs fortes, dont cette nation commence à faire un abus continuel, produisent chez elle, comme partout ailleurs, des querelles et des événements tragiques 2 .

qu’ils oublient quelquefois dans l’ivresse leurs serments d'amitié, les assistants ont grand soin de s’entremettre entre les pobratimi, afin d’empêcher les querelles, toujours funestes dans un pays où tous les hommes sont armés 3 .

Comme il le fait volontiers, Mérimée rapporte ensuite un fait auquel il aurait, dit-il, assisté et qui traduit d’une manière sensible les effets de l’amitié chez les peuples de ces pays : « J’ai vu à Knin, rapporte-t-il, une jeune fille morlaque mourir de douleur d’avoir perdu son amie, qui avait péri malheureusement en

1 Cette étymologie est fausse. Pobratime vient du verbe pobratimiti se (fraterniser) où le préfixe po ne représente pas une idée de division (po veut dire aussi demi) mais une action accomplie. 2 Voyage en Dalmatie, 1.1, pp. 86-88. 3 La Guzla, p. 122.