"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

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chapitre v.

sots, tels sont Lepa et Tchernyegor, les deux héros que le poète commence à chanter sur un mode des plus lyriques; puis vient la bouffonnerie : « J’ai abordé cette barque le premier, dit Lepa; je veux avoir cette robe pour ma femme Yevekhimia. » « Mais, dit Tchernyegor, prends le reste, je veux parer de cette robe ma femme Nastasia. » Alors ils ont commencé à tirailler la robe, au risque de la déchirer... Aussitôt les sabres sortirent de leurs fourreaux : c’était une chose horrible à voir et à raconter. Enfin un vieux joueur de guzla s’est élancé : « Arrêtez ! a-t-il crié, tuerez-vous vos frères pour une robe de brocard ? » Alors il a pris la robe et l’a déchirée en morceaux *... Lepa se disait à lui-même : « Il a tué mon page chéri qui m’allumait ma pipe : il en portera la peine. » Ils ont abordé ce gros vaisseau. morts ! » Ils ont repris leurs femmes ; mais ils ont oublié d’en rendre le prix. Le comique n’est pas seulement dans les mots, il est aussi dans l’intrigue ; il y a là tout un imbroglio plus digne du vaudeville que de la poésie épique. En somme, on ne saurait dire que Mérimée ait été heureusement inspiré par ce thème favori de la poésie primitive : l’amitié. On a pu s'en rendre compte àla lecture de ce qui précède : ce sont des traits tout extérieurs que Mérimée emprunte à Fortis, une couleur toute de surface ; le Voyage .en Dalmatie est pour lui comme un magasin de décors et de costumes, où il puise à volonté pour déguiser ses héros. Même quand il semble qu’il va s’en inspirer plus directement, et pénétrer un peu les sentiments qui font battre les cœurs dans ces pays, il passe à côté de son sujet: dans les ballades des

1 Mérimée ajoute, eu note : « On peut voir par ce trait de quelle considération jouissent les vieillards et les poètes illyriens. » C’est là, hélas ! une grande exagération de sa part.