Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

1814 — L'ABDICATION 239

Pour moi, saisi d’un profond dégoût à la vue de tant d’avidité en présence de tant d’infortune, je détournai les yeux et revins chez moi. Le maréchal se rendit au palais et je l'y accompagnai. Entré dans le salon où se trouvaient tous les officiers de l'Empereur, le maréchal le traversa et se fit introduire dans le cabinet. Je restai avec les officiers, qui, presque tous, tristes et pensifs, étaient assis et n’échangeaient entre eux aucune parole. Une table de jeu était dans le salon : deux officiers seulement y avaient pris place; personne ne songeait à s'intéresser à la partie. Drouot, remarquant cette disposition et voulant la faire cesser, parcourait l’appartement, engageant les assistants à jouer. Il organisa lui-même une table de jeu, où plusieurs officiers s’installèrent, leur offrant de l'or pour qu’ils pussent chasser par d’autres émotions celles qui semblaient les préoccuper. Pendant ce temps, je m’avançai vers les officiers et les interrogeai sur les conséquences d’une nouvelle attaque de notre part contre Paris. Un grand nombre d’entre eux n’hésita pas à me dire que, si Paris devait être brûlé ou pillé, l'Empereur aurait grand tort de compter sur leur concours. Ils parlaient ainsi tout bas, tandis que dans une autre partie du salon, d’autres officiers tenaient un tout autre langage. J’observais avec étonnement cette diversité d'opinions dans le palais même de l'Empereur.

Le maréchal sortit du cabinet et je Le suivis chez le major-général prince Berthier, où le même spec-