Mémoire sur la Bastille
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il pâlit, lui qui n’eut jamais peur : « O mon fils! « retire-toi, obéis à ton père. » Il me prend, il me serre la main et la repousse.
« Je lui dis deux mots, et il me conduisit dans un cachot. Ce fut là qu'après m’être déshabillé, j'ôtai l’uniforme de ce bon père, que je le revêtis de la redingote et le couvris du chapeau que j’avois apportés. Je lui attachai ensuite le tablier, et nous sortimes sans être reconnus. Lequel, de mon père ou de moi, est le plus heureux? Je vous le demande, Messieurs... n’est-ce pas moi? »
Il manque à ce récit, écrit sous la dictée du jeune Geudin, l’accent de sa voix, et cette ingénuité qui siéroit si bien aux enfans des favoris de la fortune.
Tous les faits de cette journée dérivent de ceux des trois jours précédens, et ne sont que le produit des premières impulsions.
Les troupes ennemies s’ébranloient, quelquesunes décampoient; mais on craignoit qu’elles ne fussent contenues et ramenées. Il n’étoit plus temps, l'esprit des troupes étoit changé. D'ailleurs, tous les citoyens en état de porter les armes, et jusqu’à des vieillards, s’étoient réunis pendant la nuit. Un homme de quatre-vingt-quatre ans, en sentinelle, dit à M. Garran de Coulon : « On parle de nous tuer, je les attends : avec quel plaisir j’offre à ma patrie le peu de jours qui me restent! »