Bitef
rida, sont tous les six partie intégrante du spectacle. Shaque séquence a sa nécessité interne et chacune contribue à la cohérence de l'ensemble. Par rapport à Nanas de Espinas, qui semblait quelquefois s'éparpiller dans une dispersion des signes, Piel de Toro témoigne d'une détermination et d’une maîtrise étonnantes. La construction est particulièrement rigoureuse et serrée, sans temps morts, sans effets inutiles ou faciles; avec un sens de la progression remararquable, implacable. Sur le plan purement formel (mais comment dissocier la forme du fond dans un tel spectacle?), Piel de Toro confirme une évolution déjà amorcée dans Nanas de Espinas, spectacle dans lequel, pour la première fois Salvador Tavora introduisait un texte parlé: des passages entiers de Noces de Sang de Lorca. Dans Piel de Toro nous retrouvons Lorca: extraits ou plutôt bribes du Chant Funèbre pour Ignacio Sanchez Mejias, torero ami de Lorca qui fut tué dans l’arène. On y entand aussi des vers du poète Antonio Machado et un texte de Salvador Tavora, que
profère le dictateur et dans lequel interviennent des fragments de discours de Franco. Tous ces textes sont parfaitement intégrés, incorporés dans le spectacle de même que la danse, le chant, la peinture ou la musique. Le Tragique se joue au rythme de la musique, en montées lentes et progressives, qui vont s'intensifiant jusqu’à atteindre un paroxysme ä'la limite du supportable, en ruptures brutales, en plages de silence. La peinture (grande fresque murale qui surplombe l’arène) se fait ou est donnée à voir en liaison avec le rythme sonore; ou alors, c’est la musique qui accompagne la peinture comme elle accompagne le geste, le soutient, le suscite ou est créée par lui. Chez Salvador Tavora, tout est jaillissement rythmique et rituel. Rythme sonore et rythme visuel sont indissociables, totalement imbriqués l'un dans l'autre et on ne sait plus bien lequel engendre l'autre. Car il s'agit bien ici d'un spectacle total où chacun des éléments semble naître l’un de l’autre sans ordre hiérarchique: musique, peinture, danse, chant et texte contribuent à un tout indissociable, né-
céssaire, indiscutable. Pas de préméditation intellectuelle ou esthétique mais la conviction profonde, presque naïve, que tous les arts participent du théâtre, de même que le théâtre participe de la vie et l'appréhende sous toutes ses formes. Ce n'est plus un théâtre dont les éléments esthétiques sont liés au quotidien mais un théâtrequi puise ses thèmes aux sources historiques et culturelles. Et, pour la première fois dans l'histoire de La Cuadra, interviennent costumes, maquillages et éclairages, apportant une stylisation baroque et une certaine sophistication. Ce n’est plus un théâtre fait avec des riens. Ce n’est plus un théâtre pauvre C'est un théâtre qui ne refuse pas certains moyens, qui tend à utiliser et à maîtriser toutes les possibilités mais n’en perd pas pour autant son caractère d'authenticité et d'urgence. Pour Salvador Tavora, le théâtre doit être une mise en danger réelle, physique, violente et rituelle, dans un état d’urgence permanent. Ce sont là des données constantes du travail de La Cuadra, depuis son début.
La Tauromachie est une mise en scène spectaculaire et rituelle de la Mort mais qui, par là même, dépasse de loin les finalités ordinaires du spectacle. Car, s’il est vrai que tout acte artistique comporte un danger, un jeu avec la Mort, la Corrida pourrait bien être une quintessence de l'art, l’Art absolu, et autre chose aussi qui est plus que de l'art, puisque le rendezvous avec la Mort est ici réel, puisque l'artiste torero risque véritablement sa peau. Dans Piel de Toro l’arène demeure un lieu mythique, lié au rituel et au sacré, mais enraciné dans l’humain. Elle est le lieu de représentation du Grand Théâtre du Monde, le lieu choisi par Goya comme cadre d'une série d'eaux-fortes; Ainsi en va-t-il dans le monde. L'un rit de l’autre, et ensemble Us jouent à la Course de Taureaux/Celui qui hier, remplissait le rôle du taureau, est aujourd'hui le torero. Le destin dirige les festivités et distribue les rôles selon son caprice. (F. Goya) Dans le spectacle, le taureau protéiforme est tour à tour un bossu bondissant incarné par une danseuse, un homme-taureau déchiré, blessé à mort et qui crie sa