Correspondance de Thomas Lindet pendant la Constituante et la Législative (1789-1792)

CONSTITUANTE (18 MAI 1700) 163

dans notre province. Cependant, comme on ose tout tenter dans ce moment-ci, vous jugerez peut-être que mes craintes n'étaient pas dénuées de tout fondement. Notre tribune retentit, chaque jour, de déclamations contre les malintentionnés, et, ce qui est plus affligeant, du récit des troubles qu'ils ont occasionnés. L'Alsace a été travaillée par l'aristocratie ecclésiastique et noble; plusieurs villages réclament les privilèges du clergé et de la noblesse ; il y a lieu d'espérer que cette commotion ne sera pas violente. Elle s’est fait sentir plus vivement à Uzès et à Nîmes. Le maire de cette dernière ville comparut hier à la barre avec toute la morgue d’un gentilhomme de vingt ans de noblesse (1). Il n’a point apporté les procèsverbaux qui feront sa justification, ils lui arriveront incessamment. C’est à Montauban (2) que s’est manifestée l'explosion la plus funeste. Les dragons de la garde nationale ont été écrasés, cinq tués, sept ou huit blessés mortellement, une trentaine traînés nu-pieds et en chemise, enchaïnés devant l’église pour y faire amende honorable, et jetés en prison; tous les protestants ont failli être assassinés. Est-ce le fruit des mandements, des lettres pastorales, des jubilés, des processions, des missions, que les bons évêques du Languedoc débitent à foiSon, pour obtenir les grâces du ciel, etengager les peuples à la paix? Plus la religion est respectable, plus on doit craindre de se servir imprudemment de ses moyens, qui agissent si puissamment sur les esprits. Dans les circonstances critiques dans lesquelles nous nous trouvons, j'espère que vous voudrez bien entrer dans les vues que j'ai eu l'honneur de vous proposer, dans le cas où, sous les prétextes de réveiller la piété des peuples, on essaierait de répandre d'injustes préventions et de fausses alarmes. Les efforts tendant à procurer des troubles au dedans du royaume, combinés avec des projets d’une guerre exté-

(1) Séance du soir du 17 mai. Moniteur, réimpression, IV, 394. (2) Séance du matin du 17 mai. Moniteur, réimpression, IV, 393.