Histoire de la liberté de conscience : depuis l'édit de Nantes jusqu'à juillet 1870

102 LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE EN FRANCE

n'était aussi autorisé et ne se montra plus habile que le P. de Ravignan. L'abbé, qui, depuis 1837, avait occupé avec talent la chaire de Notre-Dame, était entré dans l’ordre de Saint-Ignace et, suivant l'exemple qui avait si bien réussi à Lacordaire, il crut que la franchise était pour un Jésuite la suprême habileté et il publia son livre De l'existence et de l'institut des Jésuites (1844). Dans la préface, il réclamait pour lui et ses confrères le droit de choisir « un genre de « vie, qui, à ses yeux, permettait de mieux réaliser la per« fection évangélique ». Puis, après avoir exposé l'esprit des Exercices spirituels de Saint-lgnace, ses constitutions et sa doctrine, il demandait la revision du grand et injuste procès, intenté devant le Parlement de Paris, qui avait abouti à l’abolition de leur société en France en 1764.

Malheureusement la démarche du P. de Ravignan venait à une époque bien autrement agitée que celle où Lacordaire avait adressé son appel en faveur des dominicains (1839) ; les esprits étaient encore tout échauffés de la querelle de l'Église avec l'Université, et, à tort ou à raison, on en attribuait l’initiative aux Jésuites. Un incident analogue à celui qui avait attiré sur eux en 17062 les foudres du Parlement de Paris fit éclater l’orage en 1845. Un économe d’un de leurs collèges, le sieur Affnaër, fut arrêté et poursuivi pour cause de vol. Ge procès fournit à Victor Cousin l’occasion de questionner le gouvernement à la chambre des pairs sur l’exécution des lois et ordonnances qui leur étaient applicables (mars 1845). Le garde des sceaux parvint à éluder la réponse. Mais quand, le 2 mai 1845, M. Thiers reprit la question et la transforma en interpellation, il ne fut pas possible au ministère de se dérober plus longtemps. L'ancien ministre, s'appuyant sur l'autorité de jurisconsultes consommés, MM. Dupin, Hébert, Isambert, n'eut pas de peine à démontrer que la société de Jésus avait été formellement et définitivement exclue du royaume de France, par une série de lois et ordonnances toujours en vigueur. Il conclut en déposant un ordre du jour invitant le gouvernement à exécuter les lois de l'État concernant les Jésuites.