"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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OHAPITRE VI.

Cette nouvelle, toute remplie de scènes macabres, et d’une morale plutôt douteuse, avait pour héros un jeune débauché, lord Ruthven, qui, tué en Grèce, devint vampire, séduisit la sœur de son ami Aubrey et l’étouffa la nuit qui suivit sa noce. Elle eut un éclatant succès : chose incroyable, le vieux Goethe la proclama la meilleure œuvre de Byron 1 . En France, elle fut traduite immédiatement par un certain H. Faber. Son succès fut si grand que le traducteur de Byron, Amédée Pichot, se trouva'obligé de l’insérer dans son édition des Œuvres complètes du poète anglais. « Cette production apocryphe, disait-il dans YEssai sur le génie et le caractère de lord Byron, a autant contribué à faire connaître le nom de lord Byron en France que ses poèmes les plus estimés 2 . » Protégé par le nom de l’auteur du Corsaire et de Lara, le Vampire fit fortune dans les salons. Il inspira un roman de vogue, Lord Ruthwen ou les vampires, par Cyprien Bérard, roman que l’éditeur Ladvocat lança sous le nom de Charles Nodier. Les théâtres s’emparèrent du sujet. Au Théâtre de la PorteSaint-Martin on donna, le 13 juin 1820, la première du Vampire, mélodrame de Nodier, Carmouche et A. Jouffroy, musique d’Alexandre Piccini. Alexandre Dumas a laissé une relation intéressante de cette mémorable première et de la fièvre vampirique qui régnait alors 3 . Et l’auteur de Smarra écrivait : « Le Vampire épouvantera de son horrible amour les songes de toutes les femmes; et bientôt, sans doute, ce monstre encore exhumé prêtera son masque immobile, sa voix sépulcrale, son œil d’un gris mort... tout cet attirail demélo-

1 Goethes Unterhaltungen mit dem Kanzler Friedrich von Müller, éd. Burkhardt, Stuttgart, 1898, p. 51. Hock, op. oit., pp. 79-80. 2 Essai sur le génie de Byron, p. 161. 3 Mes Mémoires, Paris, 1852, t. VII, pp. 163-313.