"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

LE MERVEILLEUX DANS « LA GUZLA ».

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les manifestations de celte superstition. « Une jeune fille est abordée par un homme du pays qui lui demande le chemin ; elle le regarde, pousse un cri et tombe par terre sans connaissance. » Puis c'est la visite chez un prêtre ; les pratiques superstitieuses auxquelles elle est soumise « et deux jours après. . . elle était en parfaite santé ». Ici nous reconnaissons les précieux renseignements de Fortis 1 . Une autre fois c’est un jeune homme qui tombe fasciné sous le regard d’un heyduque; « sa figure était repoussante et ses yeux étaient très gros et saillants » : il maudissait lui-même ce pouvoir fatal que la nature avait placé en lui. Jamais, bien qu’il l’en priât, il ne voulut consentir à lever son regard sur Mérimée. Mais un cas plus étrange, c’est la double prunelle qui brille dans les yeux de certains hommes. « J’ai entendu aussi parler de gens qui avaient deux prunelles dans un œil, et c’étaient les plus redoutables, selon l’opinion des bonnes femmes qui me faisaient ce conte. » C’est le mauvais œil traditionnel, celui de Théocrite, de Pline et d’Ovide, celui aussi de Porta qu’il citera àla fin de sa préface. Il y a plusieurs moyens de se préserver du mauvais œil : des cornes d’animaux, des morceaux de corail vous en garantissent ; on peut également toucher du fer ou jeter du café à la tète de celui qui vous fascine ; mais le plus sûr moyen c’est un coup de pistolet tiré en l’air ; bien plus sûr encore, si on le dirige contre l’enchanteur prétendu. Les louanges aussi sont funestes à ceux auxquels elles s’adressent, surtout aux enfants ; Mérimée s’est vu contraint, sous menace de mort, de cracher au visage d’un bel enfant pour rompre l’enchantement qu’il avait invo-

1 Voyage en Dalmatie, t. I, pp. 98-99,