"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VII.

tion de ce poème, en a fait une des meilleures analyses ; il a voulu essayer d’y prouver « que le poète dalmate connaissait bien les grands ressorts du pathétique 1 ». Il remarque très justement, quoique en idéalisant un peu, que « les femmes morlaques sont assujetties à une obéissance plus servile qu’en aucun autre pays » et qu’elles « ne pénètrent presque jamais dans l’appartement du chef sans y être appelées. Cette simple circonstance, ajoute-t-il, transporte déjà l’auditeur au temps des mœurs primitives ; elle lui rappelle Esther tremblante au pied du trône d’Assuérus, dont aucun mortel n’ose tenter l’accès, et attendant que le roi daigne la frapper, en signe de grâce, d’un coup de son sceptre d’or 2 ». Si cette pudeur est donc toute naturelle, la conduite d’Asan-Aga nous paraît plus difficile à justifier. Il croit sa femme insensible et s’irrite contre elle : Quand il fut un peu guéri de ses blessures, Il fit dire à sa Adèle épouse : « Ne m'attends pas dans mon blanc palais, Ni dans mon palais, ni dans ma famille. » Il la répudie, mais on n’en voit pas la raison, la possibilité d’un malentendu étant exclue. Voudrait-il que sa femme s’affranchisse de la coutume? Ou est-ce dans l’excès de sa douleur physique qu’il s’oublie et prononce les mots irrévocables qu’il devait regretter plus tard? On a voulu adopter cette dernière explication, mais elle ne nous semble pas assez solide. Il est plus probable que le poète dans ses sympathies pour la malheureuse

1 Télégraphe officiel des provinces illyriennes du 20 juin 1813. (L’article est réimprimé par M. Ma tic dans YArchiv fur slavische Philologie, t. XXIX, pp. 79-81.) 2 Ch. Nodier, Mélanges de littérature et de critique, Paris, 1820, t. H, pp. 365-366.