"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

LA BALLADE DE L’ÉPOUSE D’ASAN-AGA.

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femme a caché quelque motif plus sérieux, oh, pas bien compromettant ! —qui, dans la réalité, a provoqué cette rupture ; car, on le sait, toutes les piesmas ont un fond véridique 1 . Mais revenons à notre poème. L'épouse d’Asan-Aga apprend la cruelle décision de son mari et « demeure désespérée à penser quelle est sa misère » ; on entend piétiner les chevaux devant le « palais ». L’infortunée croit son mari revenu et, n’osant l’attendre, elle s’enfuit par les degrés de la tour pour se rompre le cou en se précipitant de la fenêtre; mais ses deux petites filles, effrayées, courent après elle en criant : « Reviens-t’en, notre chère maman, Ce n’est pas notre père, Asan-Aga, Mais notre oncle, le bey Pintorovitch. » La pauvre femme revient, elle embrasse son frère en sanglotant : « Oh ! mon frère, quelle grande honte ! Il veut me séparer de cinq enfants. » Le bey garde gravement le silence, « garde le silence et ne dit rien », mais il met la main dans sa poche de soie et en tire la lettre de répudiation : Afin qu’elle reprenne son douaire entier, Afin qu’elle revienne avec lui chez sa mère. Quand la dame eut lu cette lettre, « elle baisa ses deux fils au front, ses deux filles sur leurs joues vermeilles »; elle put s’en séparer, mais elle ne put se séparer de l’enfant qui était au berceau. Alors son frère la prit par la main Et à grand’peine l’éloigna de l’enfant, Et la prit avec lui sur son cheval, Avec elle il partit pour son blanc palais.

1 Cf. Auguste Dozon, L’Épopée serbe,}), lxxv.