"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VII.

Après celle exposition « qui est aussi bonne, dit Ch. Nodier, que si Arislote lui-même en avait fourni les règles », le vrai drame commence. La dame était « bonne et de bonne famille », aussi un grand nombre de prétendants la « demandaient » ; le kadi d’imoski insistait davantage. Le poète, qui ne voit d’autre cause à ce drame que le fatal asservissement de la femme levantine, ne dit aucun mal de cet aspirant à tous égards digne de considération. Répudiée, en vain l’épouse d’Asan-Aga supplie son frère : « Mon frère, puissé-je ne jamais désirer te revoir [si tu ne veux m’écouter] ! Veuille ne me donner à personne, afin que mon pauvre cœur ne se brise, à la vue de mes petits orphelins ! » Le frère, qui n’est pas un tyran moins impitoyable que le mari, n’eut point souci de ses plaintes ; il accorde la jeune femme au kadi d’imoski. Le rôle fatal du bey Pintorovitch ne s’explique que par certaines modifications apportées dans le poème à l’histoire véritable dont nous parlions tout à l’heure. Le poète ne parle point des relations antérieures des deux beaux-frères, comme il a évité de faire la moindre allusion au caractère de la mère d’Asan-Aga, qui seule avec sa fille visita son fils blessé. Tout cela est intentionnel, car le guzlar ne veut absolument accuser personne. Le frère est aussi un « maître », il a le droit d’ordonner, il ordonne ; la sœur est une esclave, elle doit obéir, elle obéit. Elle le fait en vraie héroïne de tragédie, poursuivie par son destin. La fatalité seule est cause de tout. Résignée, la dame demande une grâce à son frère: elle le prie d’écrire et d’envoyer une « feuille de lettre blanche » au kadi d’imoski :