"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE VII.

Nodier, dont la version paraît avoir été faite plutôt d’après celle de Berne que d’après Fortis, tombait lui aussi dans la même erreur à l’occasion du dénouement. Il terminait ainsi : « Elle prête l’oreille, son sang se glace, elle tombe, et sa tête, couverte d’une mortelle pâleur, va frapper la terre retentissante ; au même instant, son cœur se brise et son âme s’envole sur les pas de ses enfants » Mérimée, lui, s’il ne rend pas tout ce qu’il y a dans le texte, se montre cependant le plus exact de tous les traducteurs : « La pauvre mère pâlit, sa tête frappa la terre et elle cessa de vivre aussitôt, de douleur de voir ses enfants orphelins 2 . » Ce soin si scrupuleux qu’apporte Mérimée à être plus sobre encore qu’un texte qui est la sobriété même, nous révèle un des traits de son caractère d’artiste : le désir de la précision. Il est heureux pour nous de pouvoir juger Mérimée sur une ballade où l’invention est nulle, car il n’en est que le traducteur; et où la forme est tout, car sa traduction se distingue des autres par des qualités véritablement personnelles qui nous révèlent l’homme. Mérimée a deux textes en main : une version italienne qu’il peut lire aisément, un texte original qu’avec un dictionnaire il est à peine capable de déchiffrer ; et malgré toute l’aridité de ce travail c’est à l’original qu’il va, parce qu’il y sent des beautés plus naturelles que ne lui en offre la traduction fardée du savant abbé italien. Tout ce vernis « xvin® siècle » que Fortis a répandu sur la poésie, il en a la nausée; il se rend compte que la traduction du voyageur est « une belle

1 Smarra ou les démons de la nuit, Paris, 1821, p. 199 2 La Guzla, p. 255.