"La Guzla" de Prosper Mérimée : étude d'histoire romantique (sa posvetom autora)

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CHAPITRE xi.

dû les lire, il s’en rendit compte une fois de plus. Nous ne trouvons pas, comme le fait le critique Annenkoff, la traduction russe de la Guzla plus expressive que l’original français 1 , mais nous pensons ne pas nous tromper en disant qu’elle garde toute la précision de l’original là même où le traducteur l’a dépouillée de ce qu’il a jugé n’être pas nécessaire. Dans le Morlaque à Venise, le soldat expatrié se plaint de cette grande ville maudite : « Les femmes se rient de moi quand je parle la langue de mon pays, et ici les gens de nos montagnes ont oublié la leur 2 . » Les gens de nos montagnes, Pouchkine le rend par un seul mot : nachi (les nôtres), et ce mot qui, à cette place, exprime à la fois plus d’amertume et plus de nostalgie que n’en contient la périphrase de Mérimée, ne le cède pas en clarté à celle-ci. Le souffle vif et puissant d’un poète qui n’a pas honte de son émotion, remplace dans cette traduction l’impassibilité voulue de l’écrivain français. On y sent passer comme la main d’un nouveau maître pour rehausser les effets de ces ballades qu’on croyait déjà parfaites. Car il ne faut pas oublier que la prose de Mérimée se transforme chez Pouchkine tantôt en décasyllabes blancs qui coulent lentement, larges et réguliers, avec une dignité épique 3 , tantôt en strophes courtes et rapides agrémentées de rimes qui résonnent clairement de vers en vers 4 .

1 P. V. Annenkoff, op. cil., loc. cil. 3 La Guzla, p. 45. 3 La Vision du Roi, Yanko Marnavilch, le Combat de ZénitzaVelika, Fiodor i Éléna, le Valaque à Venise, Chrisitch l’Heyduque, Marko Yakoubovitch. 4 Le Chant serbe, Chant de Mort, Bonaparte et les Monténégrins, Jeannot.