"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LA BALLADE DE L’ÉPOUSE d’ASAN-AGA.

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infidèle » et que celui-ci s’y laisse deviner au moins autant qu’il nous fait entrevoir les mœurs et les caractères des héros de sa ballade; aussi, ce qu’il veut, c’est goûter le poème lui-même, dans sa saveur originelle, et malgré toute la difficulté d’une telle entreprise, sans se laisser rebuter, avec une patience digne d’un archéologue. Nous avons vu qu’il y est presque arrivé. Travail, souci de T exactitude, une certaine réserve qui se défend les effusions du sentiment, sa traduction témoigne de tout cela. Dès lors, le croirons-nous, quand avec son flegme habituel il nous déclare avoir mis tout juste une quinzaine à composer la Guzla, « cette sottise » ? D’autres, avant nous, ne s’y sont pas laissés prendre. L. Clément de Ris, en 1853, se méfiait déjà de cette superbe indifférence. « Pour faire ce recueil, disait-il, l’auteur a travaillé beaucoup plus qu’il n’affecte de le dire. » Et, «jusqu’à preuve évidente du contraire », il restait convaincu que « Monsieur Mérimée avait cédé au désir de paraître avoir mystifié le public 1 ». C’est aussi notre avis, quand Maxime du Camp ne serait pas là pour nous assurer que Mérimée allait jusqu’àrecopier seize fois de suite ses manuscrits en les corrigeant 2 . La Guzla ne nous paraît pas être une œuvre d’improvisation. Pour le fonds, nous l’avons vu, il n’y a rien de très original, rien de véritablement personnel; c’est comme une agglomération de souvenirs qu’on rencontre dans chacune des ballades. Qu’est-ce donc qui en ferait la valeur si ce n’était la forme? Cette forme qui fond et unit tant de matériaux épars en un tout qui a une vie propre. Mais cette forme elle-même n’existerait

1 L. Clément de Ris, Portraits à la plume, Paris, 1853, pp. 109-110. 2 Maxime du Camp, Souvenirs littéraires, Paris, 1883, t. 11, p. 328. Cf. aussi l’introduction des Lettres à une Inconnue, par H. Taine, p. xxix, et A. Filon, Mérimée, p. 47.