Les pamphlets de Marat

60 LES PAMPHLETS DE MARAT

décisions exige que les trois Ordres se réunissent pour délibérer sur toutes les affaires de quelque importance : usage seul conforme à la raison, et constamment suivi pendant plusieurs siècles‘, où les Assemblées de la Nation étaient vraiment nationales. Et quel autre mode pourrait-on sérieusement proposer? Quoi! chaque Ordre délibérerait séparément sur des choses d’un intérèt commun! Mais en demandant à se séparer du Tiers-État, le Clergé et la Noblesse voudraient-ils paraître moins empressés que lui de concourir à la liberté, au repos, à la prospérité de la Nation; ou pourraient-ils se résoudre à se déclarer de la sorte les ennemis jurés de la félicité publique ?

Enfin la Noblesse et le Clergé prétendront peut-être, sous prétexte d'établir l'égalité, que chaque Ordre soit compté pour une voix. Rejetez de même ce mode inique et absurde, qui rendrait illusoire la justice que vous avez obtenue d'avoir un nombre de Députés égal au leur, et d’en pouvoir contrebalancer l'influence.

Si l’unité des décisions exige que les trois Ordres délibèrent en commun, la raison veut qu'ils opinent par tête: sans cela point d'équilibre dans les suffrages. Vainement auriez-vous cherché à peser les prétentions et les prérogaiives, à balancer les avantages et les désavantages des différentes classes de citoyens. Vainement auriez-vous fait parler lintérêt public. Vainement vous seriez-vous assemblés pour assurer le repos et le bonheur des peuples; la

1. En 1355, les trois Ordres demandèrent à délibérer ensemble.

En 1356, les trois Ordres délibérèrent ensemble, et le Tiers-État composait la moitié de l’Assemblée.

En 1440, les trois Ordres délibérèrent ensemble.

En 1483, les trois Ordres délibérèrent ensemble.

Et ce mode de délibérer fut constamment suivi depuis 1355 jusqu'en 1560, époque à laquelle les dissensions intestines de l'anarchie féodale dénaturèrent le Gouvernement, mirent le royaume en feu, et livrèrent la Nation aux horreurs des guerres civiles. (Note de Marat)