Les pamphlets de Marat

DÉNONCIATION CONTRE NECKER 81

les galeries, les appartements, les jardins du château, ils s'abandonnèrent à l’insolence d’un triomphe prématuré. Déjà les héros de la scène tragique étaient désignés par la déesse qui les inspirait. Les représentants des trois ordres siégeaient dans des salles séparées. Une soldatesque affidée saisit le moment de l’absence de ceux du peuple, pour en fermer les portes, et leur en refuser l'entrée. Bientôt le ministre favori est sacrifié. Ses collègues sont renvoyés ; à leur place, sont installés des âmes damnées de la Cour; et le monarque, poussé hors de son caractère pacifique, prend le ton d’un despote, qui veut que tout ploie sous ses ordres absolus. Des transports d’allégresse retentissent au-dedans du palais; au dehors règne la consternation. Revenus de leur étonnement, les délégués du peuple, animés d’un nouveau courage, s’assemblent dans un jeu de paume, s'engagent, par serment, de ne pas abandonner la patrie, de consacrer les lois qui doivent assurer son bonheur, ou de périr. Cependant les ordres sont donnés; les préparatifs pour foudroyer la capitale, et noyer ses habitants dans leur sang, se font en silence; on n'attend plus que le moment du signal. On sait par quel heureux concours des circonstances, par quel coup du ciel-nous avons échappé *.

Mais à qui fera-t-on croire que M. Necker, entouré comme doit toujours l'être un ministre aussi adroit, n’ait eu aucune connaissance de ce qui se tramait dans le cabinet, à supposer qu'il n’y ait pris lui-même aucune part ‘! Et à

1. Cet historique est tiré de celui de la Révolution, que j'ai préparé pour la presse. (Note de Marat)

2. Mais, disent ses créatures, comment imaginer qu'il soit entré pour rien dans ce complot? N'a-t-il pas été sacrifié lui-même? Oui, sans doute, il l'a été; et pouvait-il ne pas l'être, ayant affaire à des gens de la Cour? Il avait à leurs yeux un tort impardonnable, celui d'avoir provoqué les Etats-Généraux dont ils redoutaient la tenue. Aussi, dès qu'ils se sont vus maîtres du champ de bataille, l'ont-ils rejeté comme un vil instrument désormais inutile. Enfin, quand on méconuaïtrait- la bassesse du caractère des courtisans, l'homme instruit trouverait le renvoi de M. Necker la chose du