Lord Castlereagh et la politique extérieur de l'Angleterre de 1812 à 1822

LA CRISE EUROPÉENNE ET L'EMPEREUR ALEXANDRE. 153

présentes. IL se prononce de nouveau, ne füt-ce même quelquefois qu’en haussant les épaules, contre le ministère et le système qu’il a adopté, et me trouvant hier soir. chez le duc de Richelieu, ce ministre me prit par le bras, et, en s’éloignant avec moi de la société, il me dit : « Pouvez-vous vous faire une idée de l’inconcevable conduite de sir Charles Stuart? Il semble non-seulement apprendre avec un certain plaisir les plus malheureux événemens, mais il vient, de l’air le plus indifférent, me dire même tout à l'heure, à moi, ministre d’un roi de la famille des Bourbons, qu'il était déjà question à Madrid d’un changement de gouvernement, et que l’archidue Charles devait être appelé au trône d’Espagne. » Le duc de Richelieu ajouta que la nouvelle était évidemment fausse. J'ai tâché de calmer le duc de Richelieu, mais j'avoue que si j'ai toujours considéré la présence de sir Charles Stuart à Paris, depuis le changement de ministère de la fin de 1818, comme un très grand inconvénient, je la considère à présent comme un véritable malheur. Un ambassadeur qui tient plus ou moins à l'opposition en Angleterre et qui se jette encore, de quelque manière que ce soit, dans une opposition qui menace l’existence même du gouvernement auprès duquel il est accrédité, ne peut que nuire à ce gouvernement et à l'intérêt général. Le général Pozzo nous avait déjà parlé plusieurs fois dans ce sens, mais j'ai cru jusqu'ici qu’il exagérait un peu, et que d’ailleurs, pour pouvoir continuer d’être médiateur entre lui et sir Charles Stuart. il fallait ne pas donner trop d'importance à ce qu’il me disait. Je crois cependant les circonstances présentes {trop graves pour ne pas soumettre respectueusement à votre majesté l'opinion que les liens de la quadruple alliance me paraissent un peu relâchés, que les sentimens sur lesquels elle a été fondée sont bien les mêmes encore, mais que la direction uniforme qui lui donnait tant de force a commencé à manquer déjà depuis 1818, et qu'il serait nécessaire d'employer tous les moyens pour revenir aux principes de cette alliance et surtout à celui de sacrifier toutes les convenances particulières à l'intérêt général. Pour ce qui concerne l'influence du général Pozzo di Borgo sur les affaires intérieures de ce pays, elle est différente de celle qu'il exerçait jusqu’à la fin de 1818. Cen’est qu’une influence d’opmion sur le système et la marche du gouvernement en général, que nous avons tous jusqu’à un certain point, suivant notre position personnelle et le degré de confiance que nous avons inspiré. Or, comme il est bien avec les royalistes depuis l’époque précitée et qu'il tâche de contribuer à l’affermissement du trône légitime, cette influence, pourvu qu’il continue à la faire remarquer aussi peu que possible, ne pourra qu'être utile à la bonne cause... »

Le prince de Hardenberg envoya à lord Castlereagh une copie du rapport de M. de Golz. Comme on peut bien le penser, cette communication confidentielle fut entourée de tous les ménagemens, de toutes les précautions oratoires qui pouvaient empêcher qu’elle ne blessât les susceptibilités, si faciles à éveiller, de l’orgueil britannique. Le prince, dans la lettre d'envoi, se hasardait à dire qu’à Madrid on avait cru que l’ambassadeur d'Angleterre, sir Henry Wellesley, n'avait pas été étranger à la révolution, qu’on s'était même permis d’en accuser le cabinet de Londres, que ces bruits transmis à Paris