Souvenirs des campagnes du lieutenent-colonel Louis Bégos, ancien capitaine-adjudant-major au deuzième régiment suisse au service de France
— 131 —
blessures. La Providence, il paraît, ne l'avait. pas décidé ainsi, et, tout infirme que j'étais, un pressentiment me disait que je devais encore revoir notre chère patrie.
Le brave Ninet me fit conduire à l'hôpital, où j'obtins un lit passable. J’avais hâte de faire examiner mes blessures par le chirurgien en chef. Cet examen ne parut pas favorable; il s'agissait de me couper la jambe. Cette opération me souriait fort peu; mais, outre la jambe droite, fracassée par une balle partagée en deux et dont je fis extraire la seconde moitié, que j’ai conservée en souvenir des Russes, je priai l’habile chirurgien d'examiner mon pied gauche, gelé aux extrémités : il ne me servait pas à grand’chose. Après avoir enlevé les mauvais linges qui l’enveloppaient, le chirurgien jeta de côté quelque ingrédient inconnu. Examinant mon pied de plus près, je vis que l'orteil s'était détaché. Les autres doigts n'étaient guère en meilleur état, etle mal en avait tellement diminué le volume qu’il ne restait plus que les os. Le chirurgien ne s’arrêta pas en si beau chemin; il prit sa scie et me scia les dernières phalanges des cinq doigts du pied avec une dextérité remarquable. Quarante-quatre ans se sont écoulés dès