Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

AGENCES DE VENISE ET DE PARIS (1792-1796). 107

union légitime. À leur dernière entrevue, à Ivrée, d’Antraigues, interrogé par elle sur le bruit qui courait de son mariage, avait, par crainte de lui percer le cœur, solennellement et étourdiment tout nié. Depuis, fort embarrassé pour avouer la vérité, il expliquait les écarts apparents de sa conduite par des nécessités financières, ou se répandait en phrases vagues qui lui valaient, comme à un pécheur scandaleux, de vertes semonces : « Il n’est pas juste d'exiger des autres qu'ils voient des mêmes yeux que vous Mme de Saint-Huberty, et qu’ils aient pour elle considération et estime. Vous jureriez sur son témoignage que vous êtes sa seule faiblesse; cela peut être, mais vous conviendrez que, s’il était question d’une autre, vous seriez loin de croire et de vous persuader qu’elle avait gagné le million, que vous dites qu'elle a perdu presque en totalité, en cinq ou six ans de célébrité.…. En épousant ses querelles, vous vous faites des ennemis, soyez-en sûr... Gens qui l’ont beaucoup vue la trouvent méchante et ayant conservé l’esprit de son premier état (1). »

Un moment, se croyant menacée par l'approche des Français, Mme d’Antraigues manifesia l'intention de passer de Rome à Venise. Elle supposait que son fils, se résignant à la recevoir, éloignerait Mme Saint-Huberty de sa maison. L'accueil fait à sa proposition fut tel qu’elle répliqua : « Vous devez croire que pour rien au monde je n’aurais voulu ni vous ni moi nous donner en spectacle... C’est une affaire finie, dont je ne vous ai jamais parlé. » Et elle concluait tout maternellement : « Vivons au moins en paix et comme amis, si nous ne pouvons faire mieux. Vous m'’estimez, moi je vous aime

(1) Mme d’Antraigues mère à son fils, 22 octobre 1796. (B. D.)