Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues

96 CHAPITRE TROISIÈME.

« On intrigue à Coblence, comme on intriguait à Versailles.. On veut, si on fait, qu'on sache que l'on a fait et plus qu'on n’a fait. Si on ne fait pas, on s'agite pour avoir l'air de faire. On se donne de l'importance, on épie des secrets, on les devine ou on les imagine, on les confie et on se remue jour et nuit pour avoir l'air d'être utile. Les plus médiocres sont les plus diligents à se montrer : ils cherchent à supplanter, à saisir une besogne faite par un autre... Bref, c’est une vraie peste pour notre parti que ces agitateurs d’affaires nageant dans le vide, mais présentant une atmosphère bourdonnante et piquante parfois (1).» En peignant ainsi ses émules, en les jugeant aussi dangereux que les jacobins, d’Antraigues ne voyait pas qu'il était déjà leur meilleur modèle. Il n’est pas un des faiseurs de l'émigration qui n'ait dénoncé et déploré l'esprit d'intrigue et qui, en accusant les autres, n'ait prononcé sa propre sentence. D'Antraigues put se croire, dans l'été de 1792, près de devenir un grand personnage. A la veille d'entrer en Champagne avec les Prussiens, Calonne lui écrivait : « Les princes ont plus de remerciments à vous faire que d'instructions à vous donner (2). » L'ami de Las Casas se voyait déjà prenant à dos les « rebelles » chassés de Paris, et se repliant vers le Midi avec leurs dernières espérances.

(1) Réflexions sur notre position, etc. (A. F., France, vol 63%.) (2) Calonne à d’Antraigues, 12 juillet 1792. (A. F., France, vol. 630.)