Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt
SOUS LE CONSULAT. 21
en Normandie, l’anniversaire du 18 brumaire vient de se passer sans manifestation officielle. Mais l’ancien constituant, sénateur Rœderer, directeur du Journal de Paris, a profité de la circonstance pour publier un article curieux intitulé : Lettre d’un Brumairien aux Brumairiens (1). Si partisan qu'il soit du régime actuel, Rœderer « serpente » entre les deux partis qui se font une guerre plus ou moins ouverte, l’un en faveur de l'ancien régime, l’autre en faveur des idées de la Révolution. Son écrit est un amalgame de pour et de contre, d’adroites flatteries à l'adresse du pouvoir et de diatribes évidemment dirigées contre un rédacteur véhément du Journal des Débats, Geoffroy (2), qui dépense son talent et son érudition à décrier les écrivains les plus éminents. À mon avis, il divague en matière de philosophie et de religion; en matière d'art et de critique, il frappe souvent juste.
Dans sa péroraison, Ræœderer me paraît insister beaucoup trop sur l'apologie de Voltaire, la bête noire de Geoffroy; Voltaire se défend tout seul!
(1) Cette lettre pouvait être regardée comme un nouveau commentaire de l'Adresse aux Parisiens, placardée dans la matinée du 8 brumaire an VIII, dont la rédaction appartenait à Rœderer.
(2) Geoffroy était entré au Journal des Débats en 1799. Après avoir pris le petit collet au sortir du collège, il devint ensuite professeur de rhétorique et collaborateur de l’abbé Royou dans sa feuille royaliste l’Ami du Roi, circonstance qui lui valut, en 1791, la qualification de Geoffroy l'ânier, — Royou était l’âne, — dans la caricature jacobine. Il n'avait échappé aux proscriptions terroristes qu'en se faisant magister dans un village. Ces antécédents n'étaient pas de nature à inspirer une froide impartialité au mordant critique.