Bitef

de beaucoup plus grand. Je vous offre mon silence et ma tristesse causée par tout ce qui s’est passé et qui se passe encore. C’est étrange, mais c’est la vérité: celui qui ne veut pas, ou ne peut pas, se muer en juge, n’a rien a pardonner. Tout ce qu’il peut faire c’est de comprendre, même s’il n’y comprend rien. Je ne vous offre rien qui ne vous appartienne déjà. Ma maison s’est une fois ouverte devant vous pour devenir la vôtre, une fois pour toutes, sans égard à ce qui vous est arrivé. Je ne reprends pas se que j’ai donné.« Un gentilhomme serbe très réel s’oppose à la toutepuissance de la mère des Jugovič qui, personnellement n’est pas présente, mais dont l’autorité est indiscutable. Il le fait, estimant qu’il est seul appelé à s’occuper de ses affaires privées. H oppose ses raisons personnelles, ses raisons humaines, à la raison d’Etat, au cours de l’Histoire. Cette révolte individualiste contre l’autorité (tout en n’étant pas présentée comme une révolte, mais comme une attitude passive et psychologique) contient indubitablement un élément dramatique, fait penser à Don Quichotte, aux héros de Corneille qui se plient au devoir que leur prescrit leur bon sens. Contrairement à ce que font la plupart des héros du drame (la mère des Jugovič qui édifie l’Etat, Vlah Alija qui, de force, veut être heureux, Jug Bogdan, qui n’édifie rien, mais qui avec une résignation d’intellectuel, sait qu’il doit faire ce que d’autres veulent et qu’objectivement parlant les autres sont sa raison d’être), le héros de ce drame, Strahinja, veut ce qu’il doit faire, mais c’est lui qui le veut et lui qui le doit. En d’autres mots, Strahinja veut tout simplement et tout bonnement trouver en lui-même ses motifs et laisser faire l’histoire, qui n’a qu’à se dérouler selon la moralité des manuel d’histoire. A cet égard Banović Strahinja s’associe au crédo relativiste des auteurs français, abatteurs de mythes. Une différence essentielle subsiste, c’est que Strahinja réussit à conserver hors de tout engagement la privacité de sa dignité individualiste. Mais, pour importante qu’elle soit, cette différence n’est pas la seule. Contrairement à un grand

nombre de drames écrits chez nous d’après le modèle français, Banović Strahinja est un drame bien serbe, bien yougoslave, malgré la portée générale du sujet traité, de même que les drames français de ce genre sont bien français. Nous ne pensons pas, par là, dire qu’il soit nationaliste serbe ou borné à un localisme yougoslave. Il est serbe et yougoslave par sa manière de penser, par la facture de ses phrases, par les caractères et les sujets traités, par tous ces éléments derrière lesquels le lecteur et le spectateur non avertis ne pourraient pas déceler la note nationale derrière l’orchestration internationale, et qui ne leur apparaîtraient que comme une tonalité étrange et nouvelle. L’éloquence suggestive, inspirée et baroque de Mihajlovié rappele l’écho lointain et assourdi de notre poésie épique. Les personnages de son drame sont formés d’éléments éminemment slaves. Certains, parmi eux, ont une âme des plus comphquées une âme sombre, insaisissable, follement introspective et pleine de grandeur, comme on en rencontre dans les romans russes. Mais en même temps, fort heureusement d’ailleurs, les conflits de son drame on une simplicité toute latine; ils sont nets, sobres et pleins de dignité austère. Ce sont ces qualités dramatiques, ce talent indiscutable pour la facture scénique qui, bien plus le sujet même de la pièce, ont fait que le public yougoslave s’est aperçu, le jour de la première, que quelque chose de nouveau avait surgi au sein de la production dramatique d’après querre. Un auteur dramatique authentique yougoslave était monté sur la scène. C’est un auteur qui, selon mon avis tout personnel, a peut être traité de façon un peu cavalière et partiale le rapport entre l’individu et l’autorité (au point de vue philosophique et historique), et qui se laisse parfois emporter par l’inertie de son éloquence, mais un auteur dont le talent de dramaturge est plus que suffisant pour nous communiquer ce qu’il a à dire, un auteur qui a à son actif la montée sur la scène de héros qui sont bien à nous: le noble et canadide Strahinja et sa femme, soeur de la tsarine, étrangement introvertie. ■ Slobodan Selenio