Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
lui (1). » Quant à M. Vergniaud, il vit la gloire de son fils à son aurore, et mourut à temps pour ne pas assister à son martyre.
Au moment, Messieurs, de suivre Vergniaud sur le nouveau théâtre où va se déployer et grandir son génie, je ne sais quel irrésistible sentiment de tristesse et de regret s'empare de mon cœur. Que ne puis-je vous conter encore ses batailles sans larmes et ses pacifiques triomphes ?... O jeune homme! pourquoi cette impatience? pourquoi cette ardeur nouvelle? Cette noble profession du barreau, où s’exerce le talent et s’entretient l'indépendance, a-t-elle donc perdu ce charme tout-puissant qui t'avait séduit? ses luttes savantes ne suffisent-elles plus à ton éloquence ? la renommée n'est pas assez pour toi, et tu veux la gloire; et de la barre tu rêves la tribune... Oh! prends garde! l'ambition est une dangereuse idole, la popularité une perfide maîtresse : et ce gouffre de la Révolution, où tu vas te jeter confiant, doit dévorer bien des victimes, comme toi illustres, comme toi généreuses, comme toi rayonnantes de jeunesse, de génie et d'espérance... Maïs non! c'est la voix de la patrie qui t’appelle, et c’est aux plus grands qu’elle demande les plus héroïques dévouements! Marche donc, füût-ce au sacrifice, et dusses-tu, comme les géants de la tribune antique, après avoir connu tous les enivrements de la gloire, épuiser toutes les amertumes du malheur ! Eh! qu'importe? Comme eux, aussi, tu auras ta récompense ! comme eux tu vivras à jamais dans la mémoire des hommes, et tu te couvriras toi-même, tu couvriras ton ordre, ce barreau, ta patrie enfin, d’un incomparable et immortel éclat.
Vous n’attendez pas de moi, Messieurs, que je vous retrace les graves événements qui ont si profondément remué
et transformé la France, du 5 mai 1789 au jour où l’Assem-
(1) 44 mars 1786, lettre no 85, p. 105.