"La Guzla" de Prosper Mérimee : les origines du livre - ses sources sa fortune : étude d'histoire romantique : thèse pour le doctorat d'Université

LES ILLYRIENS AVANT « LA GUZLA ».

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d’Ossian, bien qu’ils soient habitants du Midi; mais il n'y a que deux manières très distinctes de sentir la nature : l’aimer comme les anciens, la perfectionner sous mille formes brillantes, ou se laisser aller, comme les bardes écossais, à l’effroi du mystère, à la mélancolie qu’inspire l’incertain et l’inconnu 1 . » Cette page de Corinne est intéressante à plus d’un point de vue. Elle démontre d’abord que M me de Staël, malgré toute la germanisation de son esprit, ne saisissait ni le but des études entreprises sur la poésie populaire par les savants allemands de cette époque; ni les beautés de cette poésie dont les recueils succédaient aux recueils; ni l’importance de tout un courant littéraire influencé par les vieux chants nationaux des « sauvages qui ont de l’imagination et point de vanité sociale ». Mais nous reviendrons sur ce sujet. Ensuite, ce qui est encore plus important pour nous, cette page témoigne que M me ' de Staël connaissait bien l’ouvrage de la comtesse de Rosenberg. En effet, ce quelle dit de la poésie dalmate, par la bouche de Corinne, est l’expression de réflexions faites après la lecture des Morlàques. M. Jean Skerlitch, d’après qui nous citons cette page 2 , conjecture sous réserve d’ailleurs que l’auteur de Corinne devait connaître la poésie « morlaque » par les traductions de Herder et de Goethe dont nous avons déjà parlé.

1 Corinne ou l’ltalie, livre XV, eh. ix. Cette idée sur la poésie d’Ossian était déjà exprimée par M™' de Staël au chapitre consacré à la littérature du Nord, dans son livre De la littérature (pp. 210-224 de l’éd. originale). On remarquera ici la même fameuse division des « deux littératures tout à fait distinctes, celle qui vient du Midi et celle qui descend du Nord ». 2 Srpski kgnijevm Glasnih du 16 mai 1904, p. 748.