La Serbie

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A ET EE de RSA MUR ne Dimanche, 9 Décembre 1917 - No 49

LA SERBIE

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La conduite des Bulgares en Roumanie |

— Témoignage d'un publiciste suisse —

La guerre en ce moment fait avant tout de la politique. Les ministères tombent, et les chanceliers. On ménage des rencontres secrètes entre gens de la haute finance qui s’'imaginent volontiers que la destinée des peuples est une question d'argent. Aux images poignantes de la lutte, à l'horreur de l'incendie et du carnage, succèdent les larges théories, les vues générales qui ne sont peut-être que de froides conceptions, et les rêves magnifiques qui ne sont souvent que des calculs.

Et cependant le drame continue. On a l'oreille aux diplomates, mais les plaintes s'élèvent toujours. Il y aura bien des crimes, quand on en viendra aux négociations, qu’il ne faudra point oublier. Il est de tout intérêt que les Alliés se souviennent alors qu’ils ont à faire justice des mille atrocités commises. Les actes odieux et les misères injustes ne seront pas des facteurs négligeables quand se réglera le sort des nations.

De là que j'ai jugé utile de rappeler ici certains faits, qui datent d’une année et sur lesquels on n'a pas suffisamment insisté, lassé qu’on était de faire et refaire toujours un éternel procès. Ils ont trait à la conduite des Bulgares en Roumanie. Et la relation fidèle que je vous en ferai — j’assure l’exactitude de ce que j'avance, — jettera une lumière atrocement crue sur l’âme de ce

peuple, que les Serbes ont tant de raisons |

et si grand’ raison de mépriser et de haïr. Trois ou quatre jours après la déclaration

. de guerre à l'Autriche, les Roumains subissaient le désastre immense de Turtucaia. Ils furent les victimes de leur imprudence, ils auraient dû chercher d’autres garanties que la parole de M. Radoslavoff, je n’ai pas à revenir sur ce point. Mais ce qu’il faut signaler, c'est la façon sauvage dont leurs voisins du sud les ont combattus. Le lieutenant Vasile Slovescu m'a raconté à ce propos des choses incroyables. Un de ses hommes, blessé, qui s'était fait prendre au cours d'un combat, apparut au dessus de la tranchée ennemie, soutenu par des mains criminelles, qui voulaient s’en servir comme d’un épouvantail. On l'avait mutilé affreusement, il avait les yeux crevés, les oreilles et le nez arrachés et des plaies sur le crâne montraient qu’on avait essayé de le scalper.

D'autres récits d'officiers montrent que des cas semblables, à quelques détails près, se sont produits dans maintes circonstances. On a vu notamment des prisonniers roumains revenir vers les leurs, la main droite coupée. N'était-il pas en effet plus commode et moins onéreux de les laisser ainsi s’en retourner chez eux, après cette ablation qui les rendait à jamais inoffensifs et misérables ?

Lors de la retraite de la Dobroudja, il n’est pas jusqu'aux populations civiles qui ne se soient livrées à des cruautés inouïes. Les femmes bulgares, — d’après le témoignage de personnes dignes de foi, — sortaient des villages, allaient comme des hyènes à la quête des blessés, et, avec de grandes marmites, versaient de l’eau bouillante sur ces victimes impuissantes.

Le Danube charriait une masse de cadavres, où se feisaient voir, outre les plaies qu’ouvrent les schrapnels et les obus, les marques de supplices odieux, de castrations, d’écorchements et d’autres violences monstrueuses. Tant d'horreur m’a porté à faire une enquête personnelle qui me prouvât le bien fondé des mille récits. J'ai été dans les hôpitaux interroger ces braves paysans, qui racontent les choses comme ils les ont vues. Toutes ces âmes naïves sont agitées de la même épouvante. On retrouve dans leurs paroles les mêmes détails, les mêmes expressions, le même accent tragique et

. sincère. On ne peut plus douter, on est forcé de croire.

D'ailleurs, comment douterait-on, si les journaux de Sofia eux-mêmes usent parfois d'un cynisme inconcevable ? Comme les Russes avait envoyé — ce qui peut sembler un peu prématuré — des gouverneurs pour les villes du territoire ennemi que l’on occuperait, il arriva qu’on les fit prisonniers avec d’autres soldats. Les gazettes du pays s’égayèrent alors du fait qu’on obligea ces malheureux fonctionnaires à balayer les rues des localités qu’on avait promises à leur administration. Contraindre des hauts personnages à ces besognes ignobles, c’est d’un néronisme bien facile et grossier. En tirer gloire, c’est atteindre un beau degré d'inconscience.

Je passe une longue série d’ignominies qu’on retrouve ailleurs, dans cette guerre,

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tels que les meurtres, les viols, le pillage et l'incendie, ne voulant m’attacher qu'à ce qui revêt un caractère d’exceptionnelle cruauté, ou pour mieux dire de cruauté bulgare, Sans m'étendre donc, je me contenterai de vous dire que,dans le seul hameau de Soimu, près d'Alexandria, six fillettes, toutes âgées de moins de neuf ans, furent violées et massacrées devant leurs parents. Et j'en arrive à l'occupation de Bucarest. Là, je fus le témoin oculaire des mille scènes scandaleuses auxqüelles se livrèrent les sujets de Ferdinand Cobourg. Ils terrorisaient les quartiers excentriques de la ville. Ils allaient chez les particuliers, les menaçaient de leurs armes et leur extorquaient de l’argent ou des bijoux. Une vieille femme fut ainsi assassinée, dans la Strada Calaraëilor, pour n'avoir pas obéi à ces injonctions criminelles. Le sac des magasins se fit dans les premiers jours avec une impudence extrême. Des officiers entraient, parlaient haut, prenaient des chaussures, des fourrures, des objets de luxe, voire des parfums, parlaient de réquisition et ne payaient point. Cédant aux plaintes qui s’élevaient de tous côtés, les Allemands, il est juste de le dire, se décidèrent à rétablir l’ordre. Ils en vinrent à, fusiller trois de leurs alliés qui s'étaient rendus coupables de meurtre, dans un faubourg. Mais ces mesures n’empêchèrent point la soldatesque de se manifester encore par quelque endroit, et j'en veux pour exemple ces deux anecdotes: Un jour que je me promenais — ce pouvait être six heures du soir — dans la Calea Victoriei, j'entends crier derrière moi. Je me retourne, c’étaient deux femmes qui paraissaient dans un trouble extrême. Elles me dirent qu’on venait de leur arracher leurs réticules. En même temps, je vois un uniforme disparaître prestement au coin de la rue, Tandis que sur mon conseil, elles courent avertir le sergent de ville qui était un soldat de landsturm, gros et gras, incapable de se mouvoir, je me jette moi-même à la poursuite du coupable. Je le rattrape à quelque cinq cents mètres plus loin. Il se débat, joue des poings, me menace de ses armes, je tiens bon; enfin le sergerit obèse arrive ; on s'explique à la, Militärpolizei, et l'officier bulgare, c'était un officier est obligé de rendre les réticules et de faire, ô miracle ! — quinze jours d’arrêt. Une autre aventure est arrivée à la femme d’un diplomate distingué. Elle venait de se coucher et déjà s’assoupissait, quand vers minuit, un violent coup de sonnette la réveille. Elle entend qu'on parle dans le vestibule, elle sonne. Une femme de chambre vient lui dire que. c’est un soldat qui réclame une robe de bal. Mme C. ordonne qu’on le renvoie. Le soldat refuse, tempête, écarte les domestiques et entre dans la chambre de Mme C., à qui il explique qu'il est en train de s’amuser avec des amis, et qu’il a décidé de se travestir. Mme C. lui fait sentir l’inconvenance de son procédé. L'autre ricane, va à l'armoire qu’il ouvre, choisit une robe, enlève son uniforme et commence à essayer. Cette scène grotesque et infiniment pénible se serait prolongée encore longtemps, si un valet de chambre et le portier n'avaient réussi à mettre dehors l’infâme personnage. Je m'’arrête ici, je vous ai donné assez de renseignements pour que vous puissiez vous former une opinion bien nette. Je renonce à classer les faits, à dire de ceuxci qu'ils sont plus où moins odieux que ceux-là. Tous portent en eux la même signification ; ils montrent tous qu’il y a un peuple dans les Balkans qui n’a pas encore atteint un degré de civilisation convenable, sous des apparences de progrès qui ne peuvent induire en erreur qu’un observateur superficiel. Pénétrez plus avant que ces importations étrangères, les quelques assimilations de détails et les quelques idées mal digérées, et ce semblant d'organisation et de convenances, il ne restera plus que le barbare qu’on ne peut encore mettre à la raison et qu’il faut à tout prix empêcher de nuire. G. À. OLTRAMARE.

M. Wilson et l’Autriche-Hongrie

Le président Wilson, dans son discours au Congrès, a demandé la déclaration de guerre à l’Autriche-Hongrie. Ce geste est, en effet, la conséquence logique de l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de l’Allema-

ne; tous les alliés de l'Amérique, et les erbes en particulier, éprouveront, de cet acte énergique, la plus grande satisfaction,

Nous reviendrons sur le discours du président dans notre prochain numéro.

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Les Bulgarés demandent aussi i’'Albanie

Le « Zaria », journal bulgare du 20 oc-

| tobre, publie l’article « L'Avenir de l’Alba-

ne», venant de son correspondant spécial, Prizrend, octobre 1917. « Enfin on a commencé à traiter dans la

_présse étrangère l'avenir de l’Albanie, et

les opinions exprimées se réduisent à la nécessité de partager le pays albanais entre les Etats qui sont directement ou indirectement intéressés à la résolution du problème albanais si compliqné.

Je partage entièrement cette opinion, car elle répond complètement aux intérêts non seulement des Etats en cause, mais aussi aux intérêts du peuple albanais même, qui s’est familiarisé avec l’idée de ne pouvoir former un Etat indépendant dont la vie serait basée sur le principe de libre détermination nationale. Une dizaine de tribus aux différentes religions, dont jes tendances sont dirigées vers tel ou tel Etat et encore d’autres faits représentent un tel chaos que devant lui l'homme d'Etat le plus doué ne peut échapper à l'évidence qu'un Etat albanais solide et indépendant est impossible. Les tentatives du passé sont suffisamment récentes pour ne pas avoir besoin d’être rappelées et éclaircies. L'Etat albanais meurt avant d’avoir vécu, car la matière dont il fut créé portait en soi les germes du séparatisme le plus brutal, allant même jusqu’à la loi de la vendetta.

Créer à nouveau l'Etat albanais, signifie répéter le passé, rien de plus, les conditions sont les mêmes et les conséquences, par suite, ne peuvent pas changer.

La population mahométane, catholique, orthodoxe considère l'autorité bulgare comme naturelle. J'entendis toutes les bouches albanaises dire que le régime serbe dans ce pays était une anomalie. Ces coups d'œil jetés à la hâte établissent qu'il est indispensable pour la Bulgarie de conserver cette partie deterre albanaise qui lui revient par la force du passé et par l’ordre du présent, comme garantie d’un avenir que nous désirons tous. »

Une interview du député yougoslave Rybar

Le « Sarajevoer Tagblatt » du 13 octobre publie une interview accordée par le député yougoslave au parlement de Vienne, Dr Rybar. Cette interview a été copieusement censurée. Voici quelques-unes de ces déclarations :

« Ce que les Yougoslaves revendiquent n’est ni une folie ni une trahison; ce n’est pas un rêve, mais un bien que les Magars ont revendiqué pour eux, les armes à la main, et qu’ils ont obtenu après 1866.

« Si l’on peut reprocher quelque chose au club yougoslave, c’est que, au regard du principe des nationalités, ces revendications sont plus que modestes; et, si l’on n’y a pas parlé de l'union de tous lès Yougoslaves, c’est pour éviter de placer notre question dans le domaine international. Le club yougoslave a voulu réaliser cette union sans ingérence de l'extérieur. Le droit de disposer d'eux-mêmes doit être reconnu en même temps qu'aux Yougoslaves de la monarchie aussi aux Yougoslaves de la Serbie et du Montenegro. Aujourd’uui d’ailleurs, il ne s’agit pas uniquement des revendications des Yougoslaves; cette question est devenue une nécessité d'Etat (Staatsnotwendigkeit). »

En parlant de la Bosnie-Herzégovine, Rybar dit que dans la question yougoslave, la Bosnie-Herzégovine joue un rôle des plus importants. En 1875, après une insurrection de la population, la Serbie et le Montenegro déclarèrent la guerre. Le facteur économique s’identifia avec le facteur national et, ensuite il n’a plus pu être anéanti. Les espoirs des deux Etats nationaux serbes de réunir à eux ces deux provinces yougoslaves furent réduits à néant par le Congrès de Berlin, qui donna à l’AutricheHongrie le mandat d'occuper la BosnieHerzégovine et d’y résoudre la question agraire.

« Cette solution — continue Rybar fut incomplète, tant au point de vue international qu’au point de vue étatique, et elle portait en elle-même le germe de nouveaux conflits très violents. (Censuré).

«La Dalmatie yougoslave a le même |

sort que la Bosnie-Herzégovine... Les Yougoslaves austro-hongrois sont partagés en deux Etats et deux pays, et en Autriche en sept provinces dont deux seulement sont en état d’avoir leur autonomie slave. »

Rybar a terminé ainsi :

« Les Yougoslaves ne veulent pas tomber sous la domination italienne, mais ils

ne veulent également pas sacrifier leur ex-

istence et leur avenir aux Allemands ou aux Magyars. »

Les soclalistes autrichiens favorables à l'union yougoslave

Le socialiste Seitz a fait au cours des. débats sur les interpellations. concernant la question polonaise au parlement autrichien la déclaration suivante :

« Au nom de tout le prolétariat social allemand, nous déclarons: Nous désirons. la complète indépendance, la complète liberté du peule polonais et nous entendons. par là du peuple polonais tout entier. Certains nous diront: Nous n’avons pas besoin de vos vœux, mais de vos actions ; à ceuxci nous répondrons: Tout ce que le prolétariat allemand peut faire pour assurer la liberté, l'indépendance et la souveraineté de tout le peuple polonais, nous le ferons, eu tous temps et avec conscience, tant que cela ne portera pas atteinte à nos propres: droits, ni dommage à nos propres intérêts. Mais nous désirons la liberté et l’indépendance, non seulement des Polonais, mais

aussi des Ruthènes, des Tchèques,

des Yougoslaves et de tout peuple dans notre Etat et en dehors de notre Etat. Nous considérons la solution annoncée (la question polonaise), comme une pure Impossibilité... Ou bien, croyez-vous que nous supporterons une nouvelle année 1867 ? Nous savons ce que signifie le dualisme pour la liberté, l'indépendance et le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes.Nous savons ce que cela signifie dans nos relations de politique commerciale et dans les discussions de compromis. Croyez-vous que nous souffrirons que de pareilles difficultés se multiplient ? .

« Ce que nous souhaitons, c'est l’indépendance et la liberté de la Pologne. C’est sa complète souveraineté. Si, comme un peuple libre, vous vous decidez de votre plein gré, de votre pleine volonté à renoncer à la complète souveraineté et à élireun roi, alors élisez-le. Et nous déciderons si cela est compatible avec les intérêts de notre Etat. Pour cela, vous devez être complètement indépendants, pour assurer votre propre droit de décider de vous-mêmes et de proclamer la république.

« Nous ne voulons pas que les peuples puissent être poussés à la guerre comme des brebis, pour des intérêts étrangers. Nous ne voulons pas qu’on les négocie ou qu’on les vende comme des chevaux. Mais nous voulons qu'ils puissent décider euxmêmes de leur propre destin. Ce droit des peuples de disposer d'eux-mêmes doit être garanti dans les pourparlers de paix, et cela pour toujours. Le droit des souverains de décider de nous est une des causes de cette guerre. Par le droit des peuples de disposer d'eux-mêmes, par le transfert de la puissance aux représentants élus des peuples, nous voulons nous assurer que les pourparlers de paix n’auront pas lieu de roi à roi, mais de peuple à peuple. Ces discussions de paix qui auront lieu au moyen d'accords des peuples libres, garantiront à l'humanité le plus grand bien qui puisse exister : la paix éternelle des peuples. »

Diplomate fraudeur

. Sous ce titre, le « Journal », de Paris, a publié le 27 novembre l'information suivante qui n’étonnera personne:

« M. Passaroff, ministre de Bulgarie en Suisse, fit annoncer, il y a quelque temps au gouvernement fédéral qu'il avait l’intention d'envoyer à Sofia les archives qui s'étaient accumulées à la légation de Berne. Le nombre de colis était si grand que le gouvernement suisse le fit remarquer au plénipotentiaire bulgare. Celui-ci ne tint aucun compte de l'observation. Quelques-

unes des caisses étaient en si mauvais état,

qu’en cours de transport elles se brisèrent. On découvrit alors qu’elles étaient peuplées. de souliers, d’effets, de caoutchouc et d’articles divers.»

NOUVELLES DE LA SERBIE ENVAHIE

Les violences bulgares continuent

Suivant les nouvelles de régions envahies.

parvenues par la Roumanie, les Bulgares

ont commis des nouveaux méfaits en mas-

sacrant notre population et incendiant les villages. D’après ces nouvelles de source sûre, les Bulgares ont complètement détruit

les villages du département de Pojarevaë:

Dobrichté, Radova, Rara, Rakinaë, Smoljinaè Chajincé. La population restée en

vie a été emenée dans une direction incon-

nue. (Communiqué du bureau de la

presse serbe. Corfou le 4 déc.)