La Serbie
ne tienne! nous donnerons à l'Allemagne la Serbie, et, s’il le faut, la Roumanie, et quoi encore ? jusqu’à ce que la balance soit en équilibre. Que la Serbie et la Roumanie
_ aient un droit quelconque à être consultées, à disposer d’elles-mêmes, à vivre enfin, c'est à coup sûr l'idée qui entre le moins sous le crâne de M. Caillaux.
Cette façon de voir n’est pas neuve, je le sais bien. C’est celle qui a jadis sévi au Congrès de Vienne; encore prenait-on quelques précautions de bienséance que le diplomate manceau a rejetées. C'est la conception des Napoléon, des Metternich. Il n’y en a pas de plus insolemment aristocratigue, ni de plus outrageusement réactionnaire. Et qu’elle ait pu être soutenue par un homme qui se donnait, — qui se donne encore, — comme le chef d’un parti républicain, démocratique et radical-socialiste, doit-on dire que le paradoxe en est plus comique, — ou plus lamentable ?
Voilà, — bien plus encore que ses lettres à Bolo ou ses encouragements à Almereyda, voilà le grand crime de M. Caillaux, le crime inexpiable, le « péché contre l’esprit » pour lequel il n’est point de pardon. Alors que la France tout entière, d'autant plus ardente qu’elle était plus rudement meurtrie, jurait de rendre impossible désormais le retour de pareilles insultes à la justice et travaillait à instaurer un ordre de choses nouveau et meilleur, lui, de toutes ses forces, de toutes ses ruses, s’appliquait à nous faire retomber dans l’ornière honteuse des vils marchandages et des compromissions égoïstes. Il « trahissait » dans toute l’acception du terme: il trahissait l'esprit moderne, lesprit de justice et de liberté; il trahissait l’âme haute et pure de la France.
#
Et il trahissait aussi les intérêts français.
Car enfin, quelque opinion qu’on ait sur notre système d’alliances, il y a des faits qu’on ne peut nier. C’est un fait qu’en 1914 l'Allemagne était plutôt trop puissante que pas assez. C’est un fait que plus elle a de puissance, plus elle en veut. C’est un fait que tout ce qui la fortifiait la rendait plus oppressive, plus capable fe rompre l’équilibre mondial déjà si péniblement conservé. Par conséquent, lui livrer le monde slave, comme M. Caillaux le voulait, c'était augmenter notre péril.
Il ne sert à rien de répondre qu’en échan-
ge de la Serbie, l’Allemagné nous aurait cédé quelques lieues carrées de terre lorraine. Même si c'était vrai, elle serait sortie encore de cette affaire avec un accroissement de force dont elle n’a vraiment pas besoin pour être un danger universel. La chose est évidente pour quiconque veut bien réfléchir que tous les fronts sont solidaires, fronts politiques comme fronts militaires. Nos intérêts ne sont pas moins vitaux à Salonique ou à Trieste qu’à Metz et à Briey. Il peut y avoir des gens qui méconnaissent cette grande vérité, mais M. Caillaux, un financier, un économiste ? Allons donc! s’il ne l’a pas vue, c’est qu’il ne voulait pas la voir.
C’est égal: il est réconfortant, pour nous autres défenseurs de la cause yougo-slave, de constater que son pire adversaire est un homme accusé de haute trahison. On n’est pas l'ennemi des Serbes sans être l'ennemi de la France. René PicHon.
(L' Œuvre)
oo
SERBIE
L’Autriche-Hongrie se démasque
Le revirement actuel en Autriche-Hongrie donne à méditer à tous ceux qui Croyaient à une action séparée de la monarchie danubienne dans l'alliance germanique. La formule de la « paix sans annexions ni contributions » sortie avec tant d'enthousiasme et d’ « abnégation victorieuse » des officines impériales acquiert aujourd’hui son véritable sens germanique à la lumière des discours prononcés aux délégations austrohongroises. Le voile démocratique dont les Impériaux ont tâché de masquer leurs visées impérialistes et annexionistes, se déchire à présent. Depuis que les revers italiens et la Russie soviétisée ont délivré les Impériaux du danger militaire immédiat, la voix sincère commençe à se faire entendre et les véritables buts "de guerre de la MÜ* narchie sont exposés ouvertement.
C'est à la Délégation hongroise qu’on a indiqué il y a quelques jours comment on entend la paix sans annexions ni contributions. Le comte Andrassy, l'éternel candidat à la présidence du Conseil, a introduit la discussion impérialiste.
« La paix doit être honorable et avisée, a-t-il dit, pour ne pas mettre les autres Etats dans une situation qui entraînerait une revanche. Cependant nous ne devons pas renoncer à des rectifications de nos frontières. Cette guerre ne doit pas se terminer sans assurer la défense de nos intérêts militaires et stratégiques. » Comme exemple, l’orateur cite le Lovtchen (Monténégro) qui domine les Bouches de Cattaro. « La nécessité pour nous d’avoir le Lovtchen est telle que la paix ne serait pas satisfaisante si elle ne nous en assurait pas la possession. »
Pour que l’annexion du Lovtchen, où comme disent les Autrichiens, la rectification des frontières, soit garantie, la Monarchie devra retenir comme gage le territoire italien occupé.
Le comte Tisza ne se contente pas des vœux d'Andrassy, il renchérit encore davantage. Il est d'avis que le refus de la paix offerte par l’Entente devrait comporter une aggravation des buts de guerre des Impériaux. En même temps il plaide la né-
cessité d’aider l'Allemagne sur tous les
fronts où l’aide est nécessaire.
« Si une situation se présentait, a dit Tisza, où la force militaire de la Monarchie pourrait aider l'empire allemand, alors de toute notre force et, avec la fidélité de l'amitié et du dévouement, nous ferions ce que ceux qui ont toujours été nos fidèles compagnons d'armes sont en droit d’attendre de nous. »
A la Serbie Tisza réserve un sort très sombre. Il veut la dépouiller au profit des Bulgares et lui interdire l’accès à la mer, car « un port pour la Serbie signifie pour nous une situation pire que celle d’avant la guerre. » Tisza ne croit pas qu'après tant d'efforts militaires la Monarchie doive aboutir à donner l'accès à la mer à la Serbie.
Parlant de l’aide promise à l'Allemagne pour le front occidental, le comte Czernin a déclaré:
« Nous luttons de la même façon pour l'Allemagne, que l'Allemagne lutte pour notre défense. Si quelqu'un demandait:
Luttons-nous pour l’Alsace-Lorraine ? il faut répondre que oui. Je ne connais aucune différence entre Strasbourg et Trieste. »
Les orateurs de moindre importance se sont également rangés aux vues des maïitres. Ainsi Okolicsanyi a continué comme suit: « Nous ne désirons en vérité aucune extension territoriale, mais cela n’exclut pas la possibilité de retenir certains territoires qui nous sont nécessaires pour des raisons stratégiques. La Monarchie doit résoudre la question balkanique conformément à ses intérêts vitaux. »
Szterenyi, ancien sous-secrétaire d'Etat, du parti d’Andrassy, n’est pas moins exigeant: « Nous ne voulons pas de conquête mais personne ne peut nier les raisons qui tous poussent à demander les modifications de frontières nécessaires à notre défense. »
Czernin et les siens parlent toujours de désarmement et d’autres belles choses mais ne cessent jamais de penser aux guerres futures. Des rectifications stratégiques, des défenses de frontières, telles sont leurs préoccupations pour l'avenir.
Les succès sur le front italien et la décomposition russe ont donné essor aux visées impérialistes germaniques dissimulées jusqu'ici pour des causes d’opportunisme. Le masque tombe maintenant. La démocratie, la Ligue des nations et la fraternisation avec Lénine ne sont que d'habiles simulacres par lesquels les Impériaux préparent la réalisation de la paix germanique. Aujourd’hui se croyant en sûreté, ils parlent sincèrement et c’est ce dont on devrait prendre note pour ne pas s'exposer à l’avenir aux pièges qu'ils tendent chaque jour.
LP.
La note autrichienne à la Serbie
Le « Times » du 25 septembre a publié la lettre
suivante : Monsieur,
Dans le dernier numéro de la « Friedenswarte », le Dr Fried, directeur de ce journal, publie une précieuse information, jusqu'ici apparemment négligée, qui jette une pleine lumière sur l'attitude de l’Allemagne à l’égard de la note autrichienne à la Serbie. Il déclare qu'il possède une coupure de l’hebdo-
|madaire américain l” « Indépendant », du 7 septem-
bre 1914, contenant un article intitulé: L’Allemagne dans la grande guerre, par l’ambassadeur impérial d'Allemagne. L’articie, qui consiste en réponses fournies par le comte Bernstorff à un certain nombre de questions particulières, est précédé de la note suivante: — L’ « Indépendant » a prié le comte J.-H. Bernstoff de répondre à certaines questions qui ont été discutées dans la presse et il a bien voulu donner suite à cette demande. Le public pourra apprécier la franchise et l'exactitude avec laquelle il répond à nos questions.
La première question était: « Est-ce que l’Allemagne a approuvé l’ultimatum de l'Autriche avant que celui-ci fût remis à la Serbie ? » La réponse du comte Bernstoff fut : « Oui », et il se mit à montrer quelles raisons l'Allemagne avait d'agir ainsi. Il est seulement nécessaire d'ajouter que le Dr Fried est un Autrichien et un patriote.
Votre dévoué,
M. EPsTEN, rédacteur au « Stateman’s Vear Book ». St-Martin’s-street, W. C. Sept. 21.
CALAPORE CET AN EIRE PE RER VEN TRUE
Dimanche 23 Décembre 1917 - No 51
L'Angieterre et la Bulgarie
__ Lettre ouverte au député anglais, M. Noël Buxton —
Mon cher député,
Ces temps derniers, dans une interpellation au Parlement anglais, vous avez émis le vœu de voir la Bulgarie sortir de la guerre sans dommages et presque agrandie. À votre idée, la future conférence de la paix devrait examiner la question bulgare sans se fonder sur son attitude actuelle.
Permettez-moi de vous dire tout de suite combien votre manifestation en faveur de la cause bulgare a été inutile et déplacée. En pleine guerre entre l'Angleterre et la Bulgarie, au moment même où les soldats bulgares s’acharnent, en Macédoine, avec violence contre les vaillants soldats de l'Angleterre et de ses alliés, prendre la défense de la Bulgarie, c’est encourager la monstrueuse politique du tsar Ferdinand et de son peuple, qui consiste dans l'écra-
sement de l'Entente et le triomphe de la
Prusse. ”
Vous savez bien, mon cher député, que la Bulgarie avait prémédité son crime, que la Bulgarie tout entière s'était livrée sciemment à l'Allemagne. Vous savez bien qu’en 1913, c’est la Bulgarie qui attaqua traîtreusement ses alliés de la veille, provoquant la deuxième guerre balkanique… et que depuis ce jour-là elle nage dans les eaux de l'Alliance Centrale.
Dès le commencement de la guerre européenne, la Bulgarie aida les Turcs dans leur lutte contre le corps expéditionnaire franco-anglais aux Dardanelles, livrant à la Turquie des munitions, des céréales, laissant en même temps aux officiers allemands le passage libre pour Constantinople. En 1915, la Bulgarie se rangea résolument aux côtés de l'Allemagne dans un but de conquêtes et de domination que seul le triomphe de la Prusse pouvait lui assurer. Grâcé à l'intervention bulgare, les Empires centraux ont pu conquérir les Balkans, sauver la Turquie, abattre la Roumanie. C'est grâce à la Bulgarie que les Empires centraux ont pu soutenir la guerre jusqu'ici.
Dans la guerre actuelle, la Bulgarie s’est dévoilée comme un pays avide de conquê. tes, ne tenant nullement compte des aspirations légitimes des peuples des Balkans, se souciant peu de l'avenir de ces peuples, ainsi que de la tranquillité future du monde. Au cours de la guerre actuelle la Bulgarie s’est montrée indigne de la future société des Nations. Elle a commis toutes sortes de violations du droit des gens, elle s’est livrée à des actes inhumains, elle a foulé. aux pieds toutes les conventions internationales. |
Comment voulez-vous, mon cher député, que la future conférence de la paix ne tienne pas compte de cette attitude ?.. Ne pas punir la Bulgarie de sa politique actuelle, c'est encourager le crime, c’est encourager un pays dont l’intervention dans la guerre a fait plonger dans le deuil des centaines de milliers de familles anglaises et alliées. Pour l’honneur du monde et de la civilisation, ce châtiment s'impose. Je le désire sincèrement, car c’est l’unique moyen d'ouvrir les yeux au peuple bulgare tout entier, lequel, incapable de se gouverner lui-même, suit docilement les ordres de Berlin.
J'ai eu l'honneur, vous en souvenez-vous, mon cher député, de m'entretenir avec
FEUILLETON
UN CHANT GUERRIER BULGARE
Nous trouvons dans le « Mercure de France » un document intéressant sur la psychologie bulgare que nous jugeons utile de reproduire
in extenso !. * | %
Si l'on peut juger l’âme d’un peuple par ses poètes, ce chant guertier d’Ivan Arkendoff, le Pindare bulgare, que publie « Le Gaulois » du 20 août, est bien caractéristique de la sauvage cruauté de ce peuple. Ivan Arkendoff est honoré du titre de « poète de la Cour ».
Le soleil s’est levé à l'horizon coloré par le sang des ennemis. Qu'’attends-tu, jeune Bulgare ? Lève très haut les mains et laisse-ies bénir par ses rayons sanglants. Et, ensuite, enfonce-les dans les entrailles d’une jeune femme... afin de rendre jalouse la pourpre royale d’Apollon. Avec l’encens des vapeurs qu’envoie l'aurore au roi des cieux, fais monter la vapeur du sang cher aux dieux. En avant jeune Bulgare, toujours en avant!
Avant que l’astre du jour monte de sept brasses à l’horizon, que le lac de sang que versera ton épée s'élève de sept brasses. Vois le vieillard caduc qui traîne sa misérable vieillesse, cherchant à tromper la mort et ton élan. Abats-le sous ta botte, arrache avec la fourchette ses yeux troubles, qui ne sont pas dignes d'admirer la grandeur de la Bulgarie, et donne-les-lui à manger, car il y a trois jours qu’il a faim et soif.
Qu'attends-tu, jeune Bulgare ? En avant, toujours en avant!
Le tapis que forment les corps de velours des femmes et des enfants est plus doux que le gazon d'avril. Déguste d'abord leur rosée, charme ton âme au fruit savoureux de leur jeunesse, et, ensuite, lorsque
à Ne 462, tome CXXII, du 16 septembre.
tu sera ivre de volupté et d’héroïsme, disperse les inutiles écorces et passe dessus, comme sur un tapis royal. Quele fer de ton cheval s'enfonce dans le sein des belles femmes, afin que le lait qui vivifie nos ennemis se tarisse. Qu’attends-tu, jeune Bulgare ? En avant, toujours en avant!
Enfant du typhon, imite ton père partout où tu passes. Qu'il ne reste pas pierre sur pierre, qu'aucun enfant ne se réjouisse sur le sein de sa mère, qu'aucun vieillard ne s’appuie sur l'épaule de son petit-fils. Jette leurs crânes aux chiens affamés, qui se pourlèchent férocement, la nuit, en reniflant ton approche, et leurs âmes au Tartare, là où le grand abîme s'apprête à engloutir toute âme indigne de lever les yeux vers la lumière du soleil bulgare. |
Et avant que le jour de Dieu se lève, qu’il ne reste sur les ruines que tu auras semées que des squelettes et des spectres, et qu'il ne monte au ciel que l'odeur des corps brûlés, chers aux dieux de l'Olympe bulgare. $
En avant, toujours en avant!
Vois ! Une cheminée fume encore, une marmite bout sur le feu, une bouche affamée attend sa pitance. Honte à toi! Ne sais-tu pas que, du moment où tu as mis le pied ici, il ne doit y avoir d'autre nourriture, pour tes ennemis, que la terre, qu’ils mordront à pleines dents? Fais une torche du vieux corps qui attise les derniers charbons du foyer, mets le feu d’un bout à l’autre et, en quittant les lieux que tes pas ont sanctifiés, ne laisse derrière toi que cendres et charbon. Le dieu de la Bulgarie étend sa fourrure d'ours sur toi comme une égide. Ne crains rien, jeune Bulgare !
En avant, toujours en avant!
* he *
Le traducteur ajoute que cette version ne rend pas exactement toute la force et la férocité de l'original. Je ne crois pas, dit-il, qu'il existe, en aucune littérature, des pages plus cruelles et plus féroces.
LA LETTRE D'UN FRANÇAIS SUR LA SERBIE
| M. Jean Brunhes, l’illustre auteur de la < Géographie humaine », vient d'écrire une préface pour un « Précis d'Histoire serbe », qui sera prochainement publié chez Delagrave. Il a autorisé la revue française « La Vie», à détacher de cette préface deux lettres encore inédites sur les Balkans, écrites en 1912 et 1913.
Nous reproduisons ici la deuxième lettre, écrite de Salonique ef mai 1913, et adressée à M. Stéphen Pichon, ministre des Affaires étrangères. Elle ne manque pas (l’une certaine actualité, vu l’arrivée récente de M. Pichon au Quai d'Orsay.
: Salonique, 13 mai 1913. Monsieur le ministre,
Je rentre de ce qui fut la Vieille-Serbie et qui est la Serbie Nouvelle,
Je reviens de Prizrend où se sont passés les fameux incidents du consul autrichien Prochaska, d’Ipek où, en 1908, M. Descos, notre ministre de France à Belgrade, faillit avoir une histoire très désagréable dans un des quartiers musulmans ; de Mitrovitza, où il y a dix ans fut assassiné le consul de Russie; de Pristina, où fut tué, il y 4 quinze ans, le consul de Serbie. J'ai fait la route de Djakovica (Diakoyo) à Ipek où, il y a deux mois, fut tué le moine Palitch, et la route d'Ipek à Mitrovitza, à travers toute la Métokia où, l'an passé, les Albanais ont tout détruit des ateliers et des tronçons de route déjà cons truits par une société allemande. |
Bref, je viens de parcourir une des ré ions qui e plus troublées et qui ont le plus troublé les chancélleties Stores £
Mais ce que je n’imaginais point au degré où je l'ai entendi raconter, c'était l'insécurité permanente d'autrefois pour les habitants mêmes du pays, — voire pour les Musulmans. Les begs albanais n'osaient pas sortir de leurs maisons fortifiées (koulés) ; il y en avait qui devaient vivre enfermés dans leurs demeures. Les Turcs de leur côté, n'étaient que campés en certaines villes comme Djakovica ; ils
us, mai me
ee an 09 ce -
: 4 N ï
à