La Serbie

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Ilme Année. — No 18

RÉDACTION et ADMINISTRATION

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ee Prix du Numéro : 10 Centimes

Paraissant tous les Samedis Rédacteur en chef :

L'Autriche-Hongrie et les Alliés

— Quelques réflexions après Campidoglio —

La bataille formidable engagée sur le front occidental aura, selon toute probabilité, des effets immédiats sur l'issue finale de la guerre. Après l'échec du plan allemand ce sera le tour des Alliés de riposter en combinant les moyens nécessaires pour abattre le militarisme prussien et instituer, après tant de sang verse, un nouveau régime international plus solide, plus juste, plus moral. Si l'on élimine la Turquie et la Bulgarie, dont le sort ne présente aucune difficulté sérieuse, ces deux Etats devant d’abord être punis par l’aide consciente prêtée au germanisme, et ensuite rendus inoffensifs pour l'avenir, il ne reste que la question d'AutricheHongrie qui donne lieu aux controverses sérieuses. En ce qui concerne l'Allemagne, la solution est de beaucoup plus facile. Après l'avoir forcée de rendre l’Alsace-Lorraine, la Pologne prussienne et les provinces danoises, la coalition des peuples alliés n'aura qu’à examiner les conditions particulières sous lesquelles une Allemagne purement allemande serait admise dans la société organisée des nations. lei le sort d’une Autriche purement allemande et celui des Etats fédérés de l’Empire allemand sont étroitement liés ce qui rend possible des combinaisons variées toutes donnant des garanties pour la tranquillités du monde. Le problème d'Autriche Hongrie est cependant plus compliqué et c'est de lui que nous ÿbulons parler ici, supposant toujours que la victoire sera du côté des Alliés, ce que nous considé-

_rons non seulement comme une chose utile et

certaine mais plutôt comme une nécessité logique.

Nous n’hésitons pas à dire cette vérité brutale que la monarchie des Habsbourg, malgré tout ce qui s'est passé, est considérée encore aujourd'hui non seulement comme une unité internationale ayant ses droits et ses devoirs, mais aussi comme une organisation politique ayant ses raisons d'être particulières qui l'emportent de beaucoup sur les cris des peuples asservis clamant à haute voix leur désir de liberté et d'indépendance. Une série de faits connus de tout le monde sont là pour le démontrer. Toute l'année 1917 l'Amérique a hésité devant la déclaration de guerre à l'Autriche-Hongrie, et lorsqu’enfin le président Wilson se fut décidé aussi pour la guerre contre l'Autriche, l'effet de cette déclaration a été sensiblement diminué par l'assurance formelle faite par M. Wilson lui-même dans son dernier message disant que l'Amérique n'entend pas détruire V’Autriche-Hongrie. Ce que M. Wilson a proclamé publiquement, ce que M. Lloyd George a assuré lui aussi, ce ne sont pas simplement des déclarations d’opportunisme limitées dans leur portée politique par le temps où elles furent faites et par la personne déterminée qui les avait faites. C'est l'émanation de la conviction générale profondément enracinée dans les cerveaux vieux-européens de la diplomatie occidentale : que l'existence de l'Autriche-Hongrie est une nécessite politique et que tout probléme de la monarchie des Habsbourg se réduit à la question de savoir comment -arriver à une organisation plus moderne de cet Etat compliqué. Tant que la Russie existait comme puissance mondiale, la question d’Autriche-Hongrie fut considérée par la France et l'Angleterre, pour des raisons d'alliance, comme une affaire intéressant plutot les Russes seuls. L'idée de détruire l’AutricheHongrie par les soldats franco-anglais n'était jamais sérieusemént envisagée par les hommes

d'Etat de l'Entente. Lorsqu'en 1915 le gouver-.

nement serbe attirait l'attention des Alliés sur la nécessité de combattre sur la Save et le Danube, et réclamait l'envoi des troupes alliées dans les Balkans, la cause principale de la résistance de la France et de l'Angleterre à adhérer au point de vue serbe, cette cause, il faut la chercher précisémemt dans le manque d'envie de combattre directement contre l’Autiche-Hongrie. Et l'Italie, n'a-t-elle pas négocié le traité de Londres dans l’idée acceptée d’ailleurs par toute l'Entente que l’AutricheHongrie serait conservée ?

Non seulement les facteurs responsables alliés mais aussi et surtout les vastes cercles d'hommes politiques et de publicistes dans tous les pays de l’Entente professaient et professent toujours cette idéologie pro-autrichienne. Douter de leur bonne foi serait injuste etinutile. Pour combattre une conception politique, il faut d'abord connaître sa vraie source et son étendue. Quant à cette dernière elle est dans le cas autrichien immense, parce que le nombre de ceux qui se sont déclarés contre l'existence de l'Autriche est infiniment petit. En Angleterre, l'opinion publique généralement est favorable à la Monarchie des Habsbourg. Les écrits de Steed, Seton Waston, A. Evans, Taylor et d’autres, malgré la compétence et l'autorité incontestée des auteurs, n'ont pas encore ébranlé la psychologie conservatrice britannique qui est hostile à la destruction d'un vieux Empire ayant à sa tête une vieille dynastie. Les grands organes de la presse hbérale anglaise sont tous favorables au maintien des Habsbourg. Les conservateurs avec quelques exceptions professent les mêmes idées. En France y-a-t-il sauf le « Journal des Débats » un seul’ organe de la grande presse vraiment anti-autrichien ? Pas un. Les œuvres remarquables de Chéradame, Gauvain, Jules Pichon, Pierre Bertrand, Ch. Loiseau, E. Fournol, E. Denis et d’autres sur l'Autriche, sont restées, jusqu'à aujourd'hui, sans grande influence sur l'opinion publique française. Le public français distingue au point de vue politique entre l'Allemagne et l'Autriche, et voit presque toujours dans cette dernière, un ami éventuel de demain. Quant à l'Italie, elle n'a non plus montré assez d'énergie dans la lutte contre l'Autriche dans son ensemble et ce n’est que ces derniers temps que l'opinion publique italienne a commencé à voir le problème d'Autriche-Hongrie sous son véritable aspect. Je ne parle pas de ce petit nombre d'Italiens qui ont compris dès le commencement de la guerre quel est l'enjeu et quelles sont les forces en cause ; l’histoire seule jugera leur œuvre restée, malheureusement, pendant longtemps sans effets immédiats.

La source du mirage autrichien est donc profonde etilne sera pas si facile de l’anéantir. Ce mirage repose sur l'idée qu'un jour l'Autriche cesserait d'être l’alliée de l'Allemagne et deviendrait plutôt sa rivale. L'idée en ellemême n’est pas du tout utopique. Elle se base d'abord sur l'histoire qui connaît, jusqu'à 1866, une rivalité acharnée entre la Prusse et l’Autriche. Elle s'appuie aussi sur la supposition que la vieille dynastie des Habsbourg ne pourrait à la longue subir la prédominance des Hohenzollern. La diversité des nationalités qui, étant dans la majorité anti-allemandes, pourront finir un jour par se soustraire à l'influence allemande, est aussi un argument en faveur de cette thèse. L'intérêt pour la France er l'Angleterre d'avoir

Dr Lazare MARCOVITCH, professeur à l'Université de Belgrade

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comme alliée en Europe une Autriche anti‘ allemande n’est pas niable et cet intérêt est devenu, après la défection russe, encore plus visible. À l'Allemagne comme force continentale il faudra sans doute opposer une nouvelle force continentale, et qu'y a-t-il d'étonnant à

-4pir, au premier abord, dans l'Autriche-FHlongrie

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êe contrepoids à la puissance germanique. L'Angleterre, malgré son armée actuelle, restera aussi à l'avenir une puissance maritime et, au lieu de contrecarrer elle-même la force continentale de l'Allemagne, elle préférexait probablement en charger, en partie au moins, une Autriche-Hongrie réformée. Quant à l'Amérique, à part les raisons anglaises qu’elle partage “également, il y a cette idéologie politique favorable au princise de fédéralisme que les Américains seraient disposés à substituer au Principe de nationalité. Le fédéralisme est con-sidéré comme un moyen propre à réconcilier -les nationalités et de les amener toutes sous le fimême toit. Autant la nationalité est un principe naturel, psychologique, autant le fédéralisme est une création artificielle mais dont les résultats pratiques ne sont pas à dédaigner. C'est pour|: quoi l'Amérique semble voir dans la fédéralisation de l'Autriche, le meiïlleur moyen pour arriver à la liberté des peuples et à la séparation de la Monarchie des Habsbourgen d'avec l'Allemagne.

Ïl ne faut donc pas se livrer aux illusions. Les puissances alliées comptent toujours avec la conservation de l’Autriche et les manifestations des derniers jours sont trop faibles pour ébranler une idéologie vieille comme tout le £ystème politique européen. L'entente des nationalités est une œuvre nécessaire mais ce n'est pas cela qui pourra mettre en mouvement les masses slaves en Autriche-Hongrie. Il faut que les peuples non-magyars et non-allemands reçoivent des assurances formelles que leur sort ne dépendra plus de l'Autriche et qu'il sera réglé suivant leur volonté. Il faut aussi que l'opinion publique en France, en Angleterre, en Italie et en Amérique examine avec plus d'esprit critique les arguments invoqués en faveur de la Monarchie des Habsbourg. D’un côté la politique officielle des Alliés doit inscrire sur son programme la délivrance des peuples d’Autriche-Hongrie et la remise de leur sort dans leurs mains. De l'autre côté il faut guérir l'opinion publique alliée de l'illusion que les éléments dont a parlé ci-dessus suffisent pour changer l'aspect de l'Autriche, au dehors et au dedans. L'Autriche restera ce qu’elle est, ou bien elle disparaîtra complètement pour faire place aux Etats nationaux qui seront libres de se fédérer après, selon leur gré. Terlium non datur. Une solution intermé_diaire du problème autrichien est une impossibilité. C’est pourquoi le Congrès de Rome qui signifie un pas en avant du problème autrichien doit servir d'avertissement aux Alliés. L'entente préliminaire réalisée entre le comité de M. Torre et les comités des différentes nationalités opprimées, est une œuvre trop fragile pour pouvoir changer, à elle seule, la mentalité proautrichienne des nombreux milieux officiels. Et de même que les peuples asservis d’AutricheHongrie se réjouiront en apprenant que leurs représentants ont proclamé l'unité de vue régnant entre eux et les Italiens, leur joie et leur résistance seront décuplées lorsqu'ils auront appris que M. Wilson et M. Lloyd Georges -ne considèrent plus que l'existence d’une Autriche des Habsbourg soit dans l'intérêt de l'Europe. | L. M.

PS. -— Dans noire article sur le Congrès des, nationalités à Rome (No 16), s’est glissée dans la transmission télégraphique qui défigure le sens.'Le passage se rapportant aux collaboratéurs de «La Serbie» doit êtra lu comme suit: «Ils salueront avec Joie le cmmencement d'une ère mouvelle dans les rap-

une erreur ,

_ Genève, Samedi 4 Mai 1918

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JOURNAL POLITIQUE HEBDOMADAIRE

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ports ilalo-yougoslaves, espérant que l'action actuclle va s'élargir et se concrétiser, afin de couper dans sa racine loule tentative nouvelle de vaines discusssions, d'inuliles controverses. » Nos lecteurs voudront bien prendre mote de cette rectification. : Nous profilions de celte occasion pour dire

que c'est M. le professeur Bojidar Marcoviteh qui est allé au front italien et non pas le soussign LM

À propos de la gaffe impériale

M. Clenrenceau s’est expliqué devant les Commissions sénatoriales sur le rôle que lui-même et d'autres personnages politiques ont joué dans l’alfaire des négocialions clandestines avec l'Autriche. Encore que nous n'en sachions rien, il nous faut supposer que les sénateurs des cominissions des affaires étrangères, de la guerre et de la marine ont approuvé l'attitude de M. Clemenceau et de ses prédécesseurs el collaborateurs. En tout cas, lopinion publique des pays alliés lapprouve; c'esi l'essentiel, Y aurait-il, dans le camp de l’'Entente, des personnalités de quelque importance politique qui ne soient pas d’accord? [1 paraît, et c’est même fort logique. Il y a, en effet, deux espèces de gens qui, tout en se donnant comme « jusqu'aubouListes » afin de ne pas se miltre en désaccord avec la volonté populaire et l’intérêt général, ne demandent pas mieux que de voir se conclure quelque traité secrel ou Lien une paix séparée avec la monarchie austro-hongroise. Ceux d’abord qui ne participent à la guerre. n’ont pas avec le cœux: le raisonnement froid et cetle haine indignée qui font la force de la cause de la justice et de la liberté, mais uniquement avec leur portemonnaïe, et cela encore à regret. Ceux aussi —- et je les trouve beaucoup moins eéxcusables — qui sont entrés en lice, sincères peut-être, mais peu clairvoyants, :mus par quelque vocalion mystique de croisés modernes, et qui proclament hautement qu'ils n’entendent que combattre les Hohenzollern et le militarisme prussien, sans avoir la moindre intention hostile à l’égard du peuple allemand ou de la Monarchie danubienne. Cette levée de boucliers de pacifistes belliqueux et d'humanitaristes enragés mais incurables, a quelque chose de grotesque. De deux choses l’une: où bäen on combat le mal partout où il se trouve, à la racine même aulant que possible, et par n'importe quel moyen; ou bien l'on ne Île fait pas et l’on se range docilement parmi le troupeau timoré de ceux qui ont inscrit sur leur bannière: « Société des Nations! Fraternité mondiale! » et dont l’esprit délicat et subtil sans doute, mais peu adapté aux exigences de notre lustre, plane au-dessus de la mêlée.

Quelle absurdité encore que de croire que l'ennemi n’est que lPAllemagne des Hohenzollern et non pas aussi l’AutricheHongrie des Habsbourg? Pour qui connaît bien la Monarchie bicéphale ceia ne saurail faire de doute. Les peuples d'Autriche, réfractaires à l’idée de l'assimilation et de l'Etat unitaire, Tchéco-Slovaques, Yougoslaves, Italiens et Roumains, opprimés depuis des siècles et rendus farouches par tant d’hypocrisie et de mauvaisé foi el par ce struggle for life qu’ils soutiennent depuis de longs siècles, le savent: l'enneni héréditaire et implacable, cest le trône de Vienne, c'est la couronne de SaintEtienne. Aux temps lôintains de Joseph T, déjà, alors qu'il n'y avait point encore d'Allemagne miitaire, ni de pangermanistes, ils ont connu la souffrances d’être persécutés pour avoir aspiré à la liberté, le droit et la vérité. Pactiser avec PAutrichien, le Magyar ou le Bulgare, c’est trahir ces Llerres «irredente » d'Autriche et de Hongrie, terres arrosées de tant de sang innocent d’apôtres de la juste cause, de Ia cause de la liberté’et de la justice, qui ont souffert le martyre dans l'espoir que leurs souffrances hâteraient l'heure de la liberté; ces terres, qui toujours ont été les boulevards deS civil'sations latine et slave. Pactiser avec l'Autrichien c’est trahir non seulement ces peup'es qui saignent de toutes leurs ‘plaies parce qu'i:s ont ru en. l’'Entente, c’est trahir aussi 1°s principes mêmes au nom desquels combattent les AINÉS.

Pactiser avec l’Autrichien c’est un crime ; cest même pire qu'un crime, cest une faute. Les peuples aliés ne la commettront

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