Le Monténégro contemporain : ouvrage orné d'une carte et de dix gravures
206 LE MONTÉNÉGRO CONTEMPORAIN. approchait de l’église, lorsqu'elle était arrivée à peu près en face de la demeure du prince actuel, elle faisait une nouvelle pose, poussait de nouveaux cris, achevait de s’ensanglanter la figure, se frappait la poitrine et s’arrachait une nouvelle poignée de cheveux. Elle se dirigeait ensuite précipitamment vers l’église dans laquelle est renfermé le corps du défunt, et chacun, avant d'entrer, déposait ses armes le long du mur. Dans l'église c'était à qui approcherait de plus près le tombeau du héros; là, les cris, les pleurs, les mvocations, les questions naïves adressées au défunt, comme s'il eût pu entendre et répondre, duraient pendant plus d'un quart d'heure; les femmes surtout se faisaient remarquer par l'exagération de leurs marques de douleur ; enfin, quand les forces étaient épuisées, les yeux injectés, les joues suffisamment déchirées, les gosiers desséchés par les cris, la troupe sortait en silence de l’église, reprenait ses armes avec calme, et allait se ranger dans la cour de l’ancien palais. On lui faisait alors une copieuse distribution d’eau-de-vie et de pain pour réparer ses forces. Une demi-heure environ après, commencaient des chants plaintifs, dont l’intonation et la monotonie elle-même avaient quelque chose de touchant. Les femmes faisaient les soli et les assistants répondaient, Voici comment les choses se passaient : deux femmes vêtues de noir, marchant d’un pas lent et compassé, l’une derrière l’autre, la tête baissée, l'air profondément contrit, entonnaient, en l'honneur du défunt, un air doux et triste, puis commencçaient une série de de profundis, dont chacune d'elles récitait alternativement un verset; cela durait quelquefois une grande heuré et se reproduisait ainsi tous les jours, pendant plus d’un mois, malgré le mauvais temps; et si le prince, affligé par la vue de tant de marques de douleur, n’eût pas donné l'ordré d'interrompre cés tristes cérémonies, tous les villages du Monténégro, sans exception, se seraient fait un devoir d'envoyér leurs habitants pleurer sur la tombe de leur chef redouté!. »
1 BouLonene, le Monténégro.