Le mouvement des idées : sur une histoire de la Révolution

LE MOUVEMENT DES IDÉES 535

Dans chaque parti, de tout temps, les hommes d'action furent une infime minorité. Mais grâce à l'inertie, aux préjugés, aux intérêts acquis, à l'argent et à la religion, la contre-révolution tenait des régions entières : et c’est cette force terrible de la réaction — et non pas l'esprit sanguinaire des révolutionnaires — qui explique les fureurs de la Révolution en 1793 et 1794: » (P2628.)

J'ai souligné le mot qui salit gratuitement l'effort tenté à ce moment-là par les réactionnaires. C'est que, chaque fois qu'il parle d'eux, M. Kropotkine les flétrit comme s'ils n'étaient et ne pouvaient être que des accapareurs, des spéculateurs, des exploiteurs, des malfaiteurs publics. Il adopte pour parler d'eux la formule de Robespierre qui dénonçait comme des traîtres et des vendus tous ceux dont il redoutait l'opposition. Pas un instant, l’idée ne l’effleure qu’on puisse défendre le maintien de la propriété privée pour des motifs désintéressés, sans avoir ni l'espoir ni le désir de devenir soi-même propriétaire, ou qu'on puisse être attaché à la monarchie sans en attendre quelque avantage, ou qu'on combatte la Révolution pour des raisons honorbles, ou qu’on n'ait pas voué au dogme dé l'Egalité une dévotion parfaite et intolérante sans être nécessairement, de ce chef, un forban de la pire espèce. À preuve de cette disposition d’esprit ses jugements sur les Girondins : ce sont des « bureaucrates », qui préféreraient livrer la France à l'étranger que de la voir sauver par la Révolution; ils abandonnent le peuple dès qu'ils sont arrivés au pouvoir, et s’empressent de prendre la résolution « d'établir un gouvernement fort

et de réduire le peuple — par la guillotine sil le fallait. » (P. 448-49.) Ou bien, « c’est le parti des propriétaires, des « honnêtes gens »... — de ceux qui mas-

. sacrèrent plus tard le peuple de Paris, en juin 1 848 eten mai 1871; qui appuyèrent le coup d'Etat en 1851, et