Les derniers jours d'André Chénier

304 LES DERNIERS JOURS D'ANDRÉ CHÉNIER

Muni de ces grandes idées à la fois antiques et modernes, fermement établi dans le domaine de la vérité, souriant à l'avenir, à la beauté divine. aux destinées de l'esprit humain, ce jeune Français, si charmant, dont l'Æymne à la France est un si touchant témoignage de piété patriotique et de fierté nationale, allait, selon linstinct héréditaire de notre nation, étendre sa sympathie à tous les efforts de la civilisation universelle, associer magnifiquement sa « cité » natale au labeur commun, achever ce poème d'Æermès où il devait chanter les commencements du monde, l'éveil de l'intelligence et de la lumière au milieu des forces obscures et aveugles, l'incessante métamorphose de la matière et l’évolution de la société, la fondation des villes, la floraison des lettres et des arts, les inventions et les découvertes, toutes les souffrances et tous les triomphes de l'humanité dolente et laborieuse.

Tandis que ce dessein magnifique se résume devant son génie désolé, il voit le cercle de mort seresserrer de plus en plus autour de lui. Il s’isole, S'isoler, dans ce vestibule de l'abattoir, c'était s’immoler d'avance. A partir du 3 thermidor, Verney refuse à son père l'accès de la prison. Et le voilà déja retranché du nombre des humains par ses bourreaux. Notons qu'il était digne de cet honneur. N’avait-il pas sifflé Collot d'Herbois et attiré sur sa tête une de ces haines de cabotin raté, qui ne pardonnent pas? N'avait-il pas collaboré, avec Malesherbes, à la défense du roi Louis XVI? n'avait-il pas protesté contre l'apothéose de Marat au Panthéon?

Quoi P tandis que partout, ou sincères ou feintes, Des lâches, des pervers les larmes et les plaintes Consacrent leur Mirat parmi les immoriels,

Et que, prêtre orgueilleux de cette idole vile, Des fanges du Parnasse un impudent reptile Vomit un hymne infâme au pied de ses autels,