Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 49

aux historiens une idée plus haute el plus sévère de leurs devoirs et viennent fortifier le mouvement des esprits qui avait fait succéder en littérature le réalisme au romantisme.

Les ouvrages de Granier de Cassagnae, son Histoire des causes de La Révolution française (1850, 4 vol.), l'Histoire du Directoire (1851), Les Girondins et les massacres de septembre (1856), ne mérilent peut-être pas d’êlre cilés comme des exemples de cette direction nouvelle, car ils sont écrils avec un parti pris passionné, romantique aussi à sa façon, contre la Révolution. Ils ont pour but principal de démontrer ce paradoxe que Louis XVI avait, dès avant 1789, préparé toutes les réformes poliliques, administralives el sociales qui ont élé assurées à la France par les institutions du Consulat, tandis que toute la Révolution n'a été qu'une période d’anarchie, d'ulopie et de crimes, qui n’a fait que retarder et allérer ces réformes. Il prenait ainsi le conlrepied, non seulement du point de vue de Louis Blane, de Michelet ou de Lamarline, qui voyaient dans la Révolulion l’avènement d’un ordre de chose tout nouveau, bienfaisant pour le monde entier, malgré les violences qui l'ont accompagnée, une transformalion du monde moral aussi considérable et aussi heureuse que celles produiles par le Christianisme, par la Renaissance et la Réforme, mais aussi le contrepied du point de vue de Mignet et de Thiers, qui avaient vu dans la Révolution la conséquence nécessaire de la ruine de l’Ancien Régime el une, série de transformations politiques et sociales, de conflits el de catastrophes, enchainées les unes aux autres par une logique inexorable, el qui ont eu chacune son utilité. Néanmoins M. de Cassagnac a eu le mérite, dans ses Girondins, de s'élever le premier contre la légende, créée par Lamartine, qui faisait d'eux des modérés et qui les déchargeait de loule responsabilité dans les excès révolutionnaires. Il a eu surlout le mérite, dans son ouvrage sur les causes de la Révolution, d'attirer l'attention, plus qu'on n'avait fait jusque-là, sur les tentatives l'ailes sous Louis XVI pour corriger les abus de l'Ancien Régime el aussi sur la nature précise de ces abus. Malheureusement M. de Cassagnac ne s’est pas donné le lemps d'étudier à fond le sujet qu'il traitait et s’est laissé entraîner par ses parti pris réactionnaires.

Il n’a pas vu ou du moins n’a pas dit ce que M. Chérest a si bien exposé dans son ouvrage sur la Chute de l'Ancien Régime (1884-1886, 3 vol.), c'est que de 1787 à 1789 le gouvernement de Louis XVI et les classes privilégiées ont montré une répugnance à corriger les abus et une résistance à réaliser les réformes demandées et promises, qui ont rendu la Révolution inévitable.

C’est l'ouvrage d’Alexis de Tocqueville sur l'Ancien Régime et la Révolution, paru en 1856, qui peut être considéré comme le point de départ de l'étude scientifique et impartiale de la Révolution, dépouillée de tout parti pris politique, de loute-exaltation mystique ou poétique. On a souvent exagéré l'originalité des vues de Tocqueville et la sûreté de son jugement. Il est utile, pour metllre toutes choses au point, de relire le remarquable arlicie d’Alphonse Peyral, qui a élé recueilli dans son volume d’Essais inlilulé Histoire et Religion. Mais le mérite de Tocqueville n’en resle pas moins {rès grand ; Peyral l’a {trop diminué. Tout d’abord, en ce qui touche à la méthode, il est revenu au point de vue auquel s'étaient placés Mignet et Thiers : se dépouiller autant que possible de toute passion, de tout parti pris, de toute préférence politique, considérer les faits