Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 21

histoires de la Révolution : les trois volumes d'Edgard Quinet intitulés : La Révolution. I est bien difficile de définir ce livre, qui a excité, au moment de son apparition, une grande admiration et d’ardentes contradictions, et qui n’est plus guère aujourd'hui ni discuté ni lu, malgré les pages admirables qu'il contient et les observations ingénieuses ou profondes dont l'histoire peut faire son profit. Mais cet ouvrage souffre du défaut de presque tous les écrits d'Edgard Quinet : le vague dans la pensée fondamentale, l’impossibilité de saisir avec netteté, au milieu d'idées intéressantes, le but précis, la conclusion où tend tout le développement. Il suffit pour s’en convaincre de lire le morceau que Quinet a mis en têle de la seconde édition de sa Révolution, en réponse aux articles que Peyrat lui avait consacrés dans l'Avenir National, et qui ont été réimprimés en volumes sous le litre : Za Révolution et le livre de M. Quinet, le plus vigoureux plaidoyer qui ait jamais été écrit en faveur des Jacobins. Quinet lui répond sans le citer ni le nommer, et on peut lire les 50 pages de celte réponse sans arriver à savoir ni quelles sont les critiques qui lui ont été faïles ni ce qu’il leur répond. Le livre de Quinet n’est ni une histoire de la Révolution ni une philosophie de la Révolution. C’est un peu de l’une et de l’autre. Ce sont des considérations, à la fois morales et politiques, à propos des événements: de la Révolution. Ces considérations sont souvent intéressantes. Quinet a montré, non sans force, après Mme de Staël, que la question religieuse a été une des principales pierres d'achoppement de la Révolution, une des causes de ses violences et de son avortement (1). Mais il est impossible de voir nettement s’il se contente de blämer les révolutionnaires d’avoir voulu nationaliser le catholicisme tout en le conservant, ou bien s’il leur reproche de n’avoir pas changé la religion de la France, en la faisant par exemple protestante. Quinet s’est défendu d’avoir eu cette idée et pourtant on ne peut le lire sans croire que c’est bien là ce qu’il a eu dans l'esprit. De même, il a, avec beaucoup d’éloquence, dénoncé la Terreur comme ayant ruiné la Révolution, et il a protesté par de spécieuses raisons contre l’opinion qui prétend qu'elle fut nécessaire, mais il n'en analyse nulle part les causes ni les caractères. Quinet avait autrefois, en 1845, parlé de la Révolution dans son cours sur le Christianisme et la Révolution française. Il y représentait alors la Révolution comme le commencement de toute l’histoire moderne, comme le « Panthéon vivant » qui renferme l'esprit de tous les peuples; tout y est représenté: « le protestantisme par la souverainelé du peuple, le catholicisme par l’unité, la philosophie par l’abstraction et l'âme qu’elle mêle à tout». Napoléon lui-même complète et symbolise la Révolution jusqu’au jour où il la renie en s’alliant au catholicisme et en se posant en nouveau Charlemagne. Cette conception romantique el messianique de la Révolution, Quinet l’avait abandonnée. I1 n'avait conservé de ses idées de 1845 qu’une seule, mais capitale : c’est que la France révolutionnaire avait été incapable de réaliser son idéal. parce qu'elle n'avait pas su résoudre la question religieuse et était restée enlacée dans les liens du catholicisme. Plus tard, en 1855, Quinet était

(1) C’est là une vérilé sur laquelle Taine n’a pas assez insisté et qui est acquise. M. Port, dans son ouvrage sur la Vendée Angevine, l’a admirablement mise en lumière, mais en montrant aussi que la levée en masse a contribué tout autant, plus même que la constitution civile du clergé et la sécularisation des biens ecclésiastiques, aux soulèvements de l'Ouest.