Orateurs et tribuns 1789-1794

L'ESPRIT DES ORATEURS DE LA MONTAGNE. 987

rère. Les chefs de la Montagne ne pouvaient, cela va de soï, compter sur la fidélité d’un tel homme; mais ils estimaient leur conquête comme le facile et peu délicat amant de la vive chanson de Congrève estimait la conquête d’une prostituée d'une autre espèce. Barère était comme Chloé, faux et banal, mais comme Chloé, sa constance durait tant qu'on le possédait; on ne lui en demandait pas davantage. Si l’on voulait bien lui fournir des faits et des idées, il pouvait toujours fournir des phrases; et dans le présent, ce talent appartenait absolument à ses propriétaires 1... »

Bonaparte voulut, à son tour, devenir propriétaire de cet homme, utiliser son talent pour les carmagnoles militaires ; Barère, flétri par la Convention, puis par le conseil des Cinq-Cents, poursuivi comme un chien enragé par les habitants des villes qu'il traversait au moment de sa proscription, Barère fut relevé de sa déchéance, et s’empressa d’aller faire sa cour au premier consul. Il comptait sans doute se vendre le plus cher possible, mais à l'exemple du neveu de Rameau dans Diderot, il eut, une fois, une seule fois, une attaque de dignité, quand on lui proposa, à lui ancien membre d'un cabinet qui avait gouverné la France, à lui qui voyait ses collègues d'autrefois devenir ambassadeurs, conseillers d'État, sénateurs, ministres, de pu-

1. Rapporte, Barère, ordonnaient ceux-ci, comme on commande à un chien,