Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise

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moyens d'exécution qui me manquent, devient pire, de jour en jour, sous le rapport des moyens d'existence, et vous n'aurez pas de peine à le croire. Ce n’est plus au jour le jour que j’existe. mais au moment le moment.

« N'importe, je n’aurai point le reproche de précipitations à me faire, et je tiendrai pied à boule tant qu'il y aura l'ombre de possibilité. Le projet, que je vous annonçais dans ma dernière, devoir s’exécuter dans le courant de la semaine dernière, s’est trouvé ajourné par quelques espérances, et surtout par l'intervention d'un homme que j'ai obligé, ilya vingt ans, que le hasard me fitrencontrer le lendemain du jour où je vous éerivis, et qui prétend pouvoir se mêler efficacement de mon affaire. Malheureusement cet homme est unavocat, et, ce jour même, partait pour aller plaider à Douai. Il ne devait rester que cinq ou six jours dans son voyage. En voilà quinze de passés, et il n’est pas de retour; mais on l'attend d’un moment à l’autre. N’imaginez pas, cher ami, que je compte le moins du monde ni sur lui ni sur aucune de ces bluettes d’espérances qui papillotent devant mes veux comme des feux follets. Tout en désespérant je me suis imposé la loi d'agir comme si j'étais plein d'espoir. C’est un supplice de plus, je le sais et je le sens bien : mais j'y suis résigné comme à fant d’autres.

« Cependant comme ces espérances ne sont pas inépuisables et semblent toucher à leur fin, d’une part, et

que, de l’autre, cette factice, cette odieuse existence que je traine depuis trop longtemps ne saurait non plus et ne doit pas se prolonger, selon toutes les probabilités, mon parti sera pris dans le courant de la semaine prochaine. Réjouissez-vous-en, mon bon Charles, comme vous le feriez si vous me voyiez guérir d’une maladie - également ignominieuse et douloureuse. Je ne vous laisserai point dans l’incertitude sur mon sort, et vous ins-