Souvenirs militaires d'Octave Levavasseur, officier d'artillerie, aide-de-camp du maréchal Ney (1802-1815) : un officier d'état-major sous le 1er Empire

CAMPAGNE DE 1807 : EYLAU, FRIEDLAND 95

Une mortalité effrayante ne tarda pas à se manifester à Guttstadt. Cette ville est catholique et nous avions tous les jours sous nos yeux des convois funèbres. Bientôt, les curés moururent : il fallut que le maréchal Ney se chargeât des enterrements. Chaque jour augmentait cette misère; les horreurs de la peste vinrent se joindre à tous nos maux. On s'était tant de fois battu que les cadavres se corrompaient et empoisonnaient l'air et les fontaines. On creusa un grand trou près des murs de la ville, et chaque jour les morts y étaient enfouis par couches avec un peu de terre par-dessus. En peu de temps, Guttstadt fut dépeuplée. Nous vivions, le général Seroux, Bicqueley, Paixhans, Martin, Colson et moi, chez un riche marchand d’épiceries, dans une chambre basse que nous avions convertie en un vaste étoufloir; on n’y sentait que l’odeur du schnick, on n’y respirait que la fumée du tabac. Notre hôte avait trois filles et un fils. Bientôt, Le père, la mère et deux des filles furent atteints par le fléau et portés dans la fosse commune. Je n’ou-

“blierai jamais qu’étant monté dans la chambre où gisait la dernière demoiselle malade, je ne pus parvenir jusqu’à elle à cause de l’odeur infecte qui me repoussait. |

Martin, l’un des nôtres, fut attaqué. Je fis un traîneau; nous le plaçämes entre deux matelas, et je le conduisis à l’ambulance, qui était à six lieues de là. Il fallait passer au milieu d’une quantité considérable de cadavres d'hommes et de chevaux qui