Trois amies de Chateaubriand

MADAME RÉCAMIER M3

l'instruisît à l'écart de ce qu'était Mme Récamiert. Elle lut à ravir une scène de Polyeucte et puis elle récita la prière d’ÆEsther. Chateaubriand, « ému mais ralenti par l’âge », se souleva difficilement. Il s’approcha de la jeune fille et, « lui prenant affectueusement les mains », il lui dit d’une voix faible : — « Quel chagrin de voir naître une si belle chose, quand on va mourir!» Il le dit, assurément, de toute son âme,avec la sincérité qu’il avait, en somme, le plus souvent et avec cet imperceptible cabotinage qu'il employait volontiers pour ajouter à ses sentiments quelque chose de vif et de remarquable,

La petite actrice ne se laissa pas intimider et elle répondit : « Mais, monsieur, il y a des hommes qui ne meurent pas? »

Elle dit cela du même ton « animé et pénétrant » qu’elle avait eu pour réciter la prière de la jeune Israélite, comme si elle continuait d’invoquer le ciel. On peut croire que Chateaubriand aima cette repartie. Cependant, la promesse de l’immortalité ne le consolait pas de la mort.

En 1840, Mme Récamier s’absenta quelques semaines, pour aller prendre les eaux d’Ems. Chateaubriand, loin d’elle et de son amitié tutélaire, fut éperdu. Il lui écrivit : « Vous êtes partie, je ne sais plus que faire. Paris est le désert, moins sa beauté...

4. Épouar Hernior, Madame Récamier et ses amis, tome II, p. 335. '

2. Comte DE MarcezLus, Chateaubriand et son temps, p. 184. Voir aussi : Jusrin Bonnatre, Ode à M. le vicomte de Chateaugriand (brochure, Nancy, 1839).