Bitef

Au Lierre, le point de départ est l’agi de l’acteur. Notre terreau est l’ensemble des potentialités physiques, vocales et sensibles de i’actant. Cette potentialité brute ne peut jaillir spontanément. Nous ne croyons pas à la génération spontanée, à la création ex nihilo et partant à l’être doué à priori. Etre «doué», c’est être à même de vouloir effectuer en toute humilité un travail régulier, précis et vigoureux. Nous sommes des artisans et tel le potier qui prépare sa glaise avec soin, quel que soit l’objet à produire, nous devons travailler avec la matière première du théâtre. Ceci signifie à l’évidence un entrainement physique et vocal quotidien ainsi qu'une réflexion continue au sein d’une structure permanente d’individus.

Sumer, une civilisation vielle de 4500 ans, établie en basse Mésopotamie, au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Des cités se bâtissent entre les forêts et les champs. L’une d’entre elles: Uruk aux fortes murailles. Sur des tablettes découvertes en 1839 par l’anglais Layard, de minuscules incisions dessinent des coins si serrés qu’elles évoquent le chevauchement d'un grouillement de fourmis. A force de patience, les tablettes seront déchiffrées: elles renferment la légende de Guilgamesh, Seigneur d’Uruk.

Guilgamesh est le seigneur d’Uruk aux fortes murailles il se croit immortel et fait régner la terreur, Enkidu, aussi frustre qu’une bête sauvage, provoque Guilgamesh en combat singulier Enkidu est battu, devient l’ami inséparable de Guilgamesh et accède à la connaissance ce faisant, il révèle à Guilgamesh qu'il est mortel Guilgamesh, boulversé, décide, pour compenser la perte de cette immortalité, de graver son nom dans l’Histoire les deux guerriers partent donc tuer Hambaba, le gardien des forces de la nature ils réussissent cet exploit il s’ensuit un fameux désordre qiu provoque la mort d’Enkidu Guilgamesh, désespéré, et de plus en plus confronté à la mort part à la recherche de la Vie Eternelle c’est Utnapishtim, le Noé sumérien, qui est le seul humain à en avoir la jouissance, en récompense de son action pendant l’lnondation après un voyage semé d’embûches, Guilgamesh atteint Utnapishtim celui-ci ironise: «comment pex-tu accéder à la Vie Eternelle,

toi qui ne sait même pas résister au sommeil?» Guilgamesh relève le défi et s'endort instantannément il dort pendant 7 jours et 7 nuits à son réveil, 7 pains cuits par la femme d’Utnapishtim sont là pour témoigner de la faiblesse du mortel Guilgamesh n’a plus qu’à s’en retourner plein de sagesse et d’expérience mais désespéré, vieux et fatigué, il meurt, ayant eu le temps d'écrire le récit de ses aventures il a laissé son nom dans l’Histoire il a apporté une pierre à la Civilisation il a tué le gardien de la Nature ...

Un spectacle, donc une production, est le moment d’une rencontre entre nos préoccupations et un matériau précis autorisant le prétexte théâtral. Guilgamesh en tant que personnage tragique, et son épopée en tant que récit, rencontre aujourd’hui la matière première de notre théâtre. Guilgamesh interrogeant l’historié face à son devenir, Guilgamesh bâtisseur Guilgamesh et sa volonté de puissance, Guilgamesh le voyou, le casseur, le tyran, le mortel en quête d’éternité et ne sachant cependant résister au sommeil rencontre nos interrogations sur l’Histoire, sur notre histoire, sur nos gouvernements, sur la puissance de nos nations et-peut-être-sur le bonheur. Notre point de départ reste une oeuvre ne faisant pas partie de la littérature dramatique. (Il en était ainsi des «Pâques» s’appuyant sur une oevre poétique.) Précisons donc que le texte de départ sera celui des tablettes. Précisons aussi qui c’est en de-ça de cette forme que nous aurons à travailler. Nous n’adapterons pas un écrit: l'écriture du spectacle, sa dramaturgie sera le résultat d’une rencontre. Le mythe est une donnée suffisament forte pour avoir traversé l’inconscient de plus d’un peuple, et pour rester vivace daans nos esprits dans ses symbolismes élémentaires. C’est aussi une donnée suffisament maléable pour s’imprégner aujourd’hui de notre parole. Nous devrons retrouver l'oralité perdue, il s’agit donc d’un pari ~.

Nous sommes un maillon de plus entre le passé et l’avenir. Le théâtre, c’est le présent, cet acte effectué aujourd’hui par nous face à vous. Raconter Guilgamesh, c’est aussi nous raconter, vous raconter dans un agi au présent. Ce théâtre n’a plus besoin de l’illusion, du quatrième mur, des personnages, ou des vêtements d’époque. Le récit n’est pas la volonté de transposition d’un genre littéraire irréductible au théâtre. La structure narrative ne s’organise pas autour de lécrit, mais autour d’une prise d’attitude physique, une façon