Catherine II et la Révolution française d'après de nouveaux documents

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la Turquie, tout en nous amusant de vastes projets sur l'Inde dont tout l'effort fut retombé sur nous. » (4) Avec la révolution à Paris son rêve d'alliance s’évanouissait ; elle en conçut un violent dépit. Sa colère se porta d’abord sur Louis XVI, incapable de prendre une décision et de s’y tenir, et impuissant à conjurer l'orage ; elle va jusqu'à laccuser d’ivrognerie quotidienne. Le jugement qu’elle porta sur la prise de la Bastille se ressent donc évidemment de l'effondrement de ses projets politiques.

Mais Catherine n’est pas femme à pardonner le renversement de ses desseins. Autant elle s’est jusqu'à ce jour contentée, dans ses conversations avec Ségur et les Français qu’elle reçoit, de porter sur nos événements un jugement relativement mesuré, autant dès lors elle jugera la Révolution avec la dernière violence. Lorsque Ségur quittera Pétershourg, elle lui dira qu'il n’a peutêtre pas conscience de l'étendue de la tempête qui va se déchainer, et elle ajoutera : « Vous trouverez la France enfiévrée et très dangereusement malade. Mais je resterai aristocrate, c’est mon métier. »

Quant à Louis XVI, il ne remonte pas dans son estime. Elle na même pas pour lui les égards auxquels lui donneraient droit ses infortunes ; il n'est à ses yeux qu'un incapable. Mais si certains jours elle le ménage, elle lance ses invectives contre les indignes descendants d'Henri IV qui défendent si mal le trône de leur roi: et sa colère se porte sur les «avocats », « procureurs», «savetiers »,— « l’hydre aux 1200 tôtes »,— qui

(1) M. Alfred Rambaud.