Charles de Butré 1724-1805 : un physiocrate tourangeau en Alsace et dans le margraviat de Bade : d'après ses papiers inedits avec de nombreux extraits de sa correspondence...

LUE

poignard, et au seul ami que vous ayiez à Carlsrouhe ! J'en ai eu toute la nuit l'agitation la plus violente, attendant à chaque instant le moment de ma dissolution, et je serais bien heureux que cela fut fini. Deux jours ont succédé à cette crise funeste et enfin je réunis mes derniers efforts pour tracer ces dernières lignes.

« Je ne puis concevoir comment on peut se permettre d’outrager de cette force-là quelqu'un qui, depuis douze ans, s’épuise à ce point, et cela pour deux cents louis qu’on me donne depuis quelques années. Hé bien, qu’on les garde! Je ne veux rien, je n'ai jamais espéré aucun secours dans ma vieillesse, ni même les dédommagements qu’on me devait pour les pertes occasionnées par l’éloignement de mes fonds. Ce qu’on me donne aujourd’hui, n’est pas seulement pour payer les si pénibles travaux que j'ai fait à Ettlingen. Je ne voudrais pas, pour trente mille florins, y recommencer ceux que j’y ai fait depuis deux ans, où il m'a fallu y travailler comme le dernier manœuvre, et y éprouver encore les risées et les propos d’un manant de jardinier et de toute la séquelle de ses créatures, qui étaient tout le jour à m’inspecter.

« Mon âge, mes lumières, mes grands travaux auraient dû m'attirer chez vous les considérations, les égards et les di$tinctions que je mérite plus que personne, et loin de recevoir ce tribut légitime, on m'y traite comme un goujat ou le dernier seribe, et cela avec ce ton mielleux, si déplacé dans une pareille incartade. Mais laissons toutes ces vaines émotions d’un si juste ressentiment et venons au fait. Les travaux violents que j'ai fait dans les deux dernières années m'ont tellement épuisé et à peine laissé un filet de vie. Je vais tenir une lettre prête qui vous sera envoyée aussitôt, si je n’en reviens pas, et vous avertira que je ne suis plus. Vous trouverez tous vos papiers à Carlsrouhe et à Ettlingue, où il y a au moins soixante feuilles que j'y ai rédigé l'automne passé, sur les bailliages de Carlsrouhe, après l'entretien que nous