Correspondance inédite de La Fayette : lettres de prison, lettres d'exil (1793-1801)

52 CORRESPONDANCE DE LA FAYETTE

d'agir ou de s'abstenir, puis décider, c'est-à-dire faire un choix entre les éventualités qui dépendent d'elle et appeler librement l’un des possibles à la réalité, et enfin déterminer le jeu des forces qui traduisent l'intention en un fait, alors l’action est vraiment composée et volontaire. Si ces conditions ne sont pas toutes réunies, l'effet peut encore être énergique, impétueux, ou facile et comme mécanique; il n’est, en somme, qu'une impulsion de l’instinct : suggestion imaginative, caprice passionné, coup de tête, ou qu'une répétition inconsciente due à l'habitude, dont les caractères extérieurs, mais acquis, sont, sous cette réserve, les mêmes que ceux de l’instinct.

Cette activité, plus impulsive que volontaire, est celle qu'a montrée La Fayette dans les principales circonstances d’une existence mêlée à tant et de si grands événements. Il le sait et l'explique, non au début de sa carrière, mais à quarante ans, en 1797, après sa sortie d’Olmütz. Son ami Masclet lui reproche un dernier coup de tête contre le Directoire à qui il doit sa libération, mais qui a fait le 18 fructidor : « Tel a été, répond-il, l'effet de ce premier instinct que j'ai presque toujours suivi dans le cours de ma vie, et je ne m'en suis presque jamais repenti. » (IV, 390.) Il se vante d’avoir été toujours semblable à luimême, il se fait de sa nature une raison, de sa sentimentalité un caractère, de ses impulsions des prineipes. Sainte-Beuve, admirant cette unité psychologique de toute une existence’, s’offusque cependant d’un contentement de soi-même si continue]; il s’effraye de cette unité et perpétuité de raison. « Cela fait dou-

1. Portraits littéraires, &. II, 172.