Éloge de Vergniaud : discours de rentrée prononcé à l'ouverture des conférences de l'ordre des avocats de Bordeaux, le 4 janvier 1875
et l'histoire répète encore, dans sa confiante admiration, que ce tout-puissant génie eût fait reculer l'anarchie, et détourné des excès que d’autres n’ont su que flétrir..……. Mirabeau et Vergniaud ! les deux voix de la Révolution ! la première, entonnant, au bruit des fers brisés, l'hymne de l'espérance et de la victoire, la seconde faisant entendre des plaintes et des chants de deuil au milieu des ruines et des tombeaux !
Nous ne comparons guère aujourd'hui ces deux honnmes, ils ne nous semblent pas de la même taille : les contemporains, cependant, osaient les mettre en parallèle, et plus d'un, parmi les meilleurs juges, hésitait à se prononcer (1).
Mirabeau, homme d'action autant que de parole, avait cette invincible force de volonté qui impose au vulgaire et le subjugue; mais, aussi petit par ses vices que grand par ses facultés, et plus complaisant pour ses passions que respectueux de son génie, il a semblé, alors même qu'il ne S'inspirait que de la raison et du sentiment de son devoir, vendre ses services et sa voix ; et l’on à pu dire de lui que « de toutes les forces d’un grand homme sur son siècle, il ne lui manqua que l'honnêteté (2). »
Vergniaud, avec moins d'énergie, a une tout autre élévation morale et plus de véritable grandeur. Jamais il ne perdit le respect de lui-même ; et ses adversaires ne purent lui refuser leur estime, non plus que leur admiration. Esclave de son mandat, il considérait comme un sacerdoce les fonctions de représentant du peuple: il ne voulait ni
(1) Daunou place Vergniaud en première ligne au nombre des hommes les plus éloquents de son siècle. (Mém., p. 410.) — Me de Staël, qui avait entendu et admiré Mirabeau, n’en écrit pas moins : « Vergniaud, l'orateur le plus éloquent, peut-être, de tous ceux qui se sont fait entendre à la tribune française. » (Consid. sur la Révol. franç., 3° partie, ch. VI.) — Enfin, Thomas Rousseau, littérateur assez connu de cette époque, va jusqu'a dire: «Vereniaud, l'émule de Mirabeau en éloquence, s'il n'était pas son maître. » (Censure de la Convention nationale, an V, p. 51.)
(2) Lamartine, Girondins, livre Ier, Çnir.