Gouverneur Morris : un témoin américain de la Révolution française

LE DIRECTOIRE, LE CONSULAT ET L'EMPIRE . 33

muable à tous vents : el tout ainsi qu'il s’estonne d’une perte, aussi est-il insupportable après sa victoire et n’a poiné d'ennemi plus capital que le succès heureux de ses affaires, ni de plus sage ministre que celuy qui le tient fort en bride, c'est à sçavoir l'ennemi vainqueur ; alors les plus sages et les plus riches sur lesquels le hazard du danger doit tomber, voyans les orages et tempestes de tous costez, prennent le gouvernement abandonné du peuple ; de sorte que le seul moyen d'entretenir l’estat populaire est de faire guerre et forger des ennemis s’il n’y en a pas. Ce fut la raison principale qui meut Scipion le jeune d’empescher tant qu'il peut que la ville de Carthage ne fust rasée : prévoyant sagement que, si le peuple romain, guerrier et belliqueux, n’avoit plus d’ennemis, il estoit forcé qu'il se fist guerre à luy-mesme... Le changement de l'Estat populaire en Monarchie est plus ordinaire s’il advient par guerre civile ou par l'ignorance du peuple qui donne trop de puissance à l’un des subjects !. »

Aussi Mably, lorsqu'en 1783 il écrivait ses Observalions sur le gouvernement et les lois des Étals-Unis d'A mérique sous forme de lettres à M. Adams, ministre plénipotentiatre des États-Unis en Hollande, signalaït-l ce danger classique aux Américains, sortis victorieux de la guerre contre les Anglais : « Combien de précautions ne faut-il pas prendre dans un état libre pour que les citoyens soient de bons soldats et cependant n’abusent jamais de leurs forces ? Négligez-les, il renaîtra des Sylla, des Marius, des César, des Cromwell, des Walstein ?. » Et, malgré toutes les précautions prises, il considérait l'apparition d'un dictateur, d’un Cromwell, comme presque inévitable pour l'Amérique : « La République romaine fut perdue dès que les lois et les mœurs furent en contradiction. Il ne vous faudra de même qu'un Gracque, c’est-à-dire un ambitieux adroit ou un orateur emporté, pour soulever les citoyens les uns contre les autres et les jeter dans une anarchie, d’où l'on ne sort trop souvent que pour éprouver les rigueurs du despotisme. Voilà, Monsieur, la catastrophe que je redoute. En vain

1. Liv, IX, ch x, édit. Genève, 1629, p. 521, 525, 526, ». Lettre IL. Ouvres de Mably, édit. Paris, 1797, t. LE, p. 279.

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