La Serbie

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nos vies aux coups des poignards bulgares, quand là-bas, au sein de notre Parlement, on tente d’épargner aux Bulgares le châtiment mérité par leur traîtrise envers la Liberté, envers la Civilisation ? Et que diront les soldats serbes ?

« Une fois cette question à l’ordre du jour, il est peu probable qu'elle s’en éloigne , elle portera ses fruits.

« Voilà pourquoi, Monsieur le rédacteur, le cas de M. Buxton me paraît bien plus . grave que ne l’a considéré lord Balfour, quand il fit la réponse qu’il a donnée, lui, à la question posée. Car il ne devait pas laisser le moindre doute à M. Buxton. Du moment qu’on crut bon de répondre, alors le lieu même, où elle a été posée, exigeait qu'on y donnât une réponse nette et claire, à savoir : que l'Angleterre règlera la question bulgare conformément à l'attitude et à la politique de la Bulgarie. Si, toutefois, malgré cela, M. Buxton avait insisté, il aurait fallu l'envoyer chercher $a réponse auprès de Guillaume Il, qui est beaucoup mieux placé pour se soucier du sort de la Bulgarie que lord Balfour.

« En Russie, l'Allemagne et l’Autriche ont trouvé leurs avocats dans les ‘personnes de Lénine et de Trotzky; la Bulgarie, elle, a trouvé le sien en la personne de M. Buxton. Le « Temps » du 15 courant dit

ue « Lénine et Trotzky sont vendus à

uillaume II ». Que dire alors des hommes

qui sont dévorés davantage du souci que leur cause le sort des ennemis de l’Ententé, plutôt que par les vœux qu’ils devraient former pour que leur propre patrie sorte victorieuse de cette guerre ? Si de tels phénemènes sont possibles, cela n’est dû qu’à la tolérance des gouvernements respectifs. Les anciens Romains, lorsqu'ils partaient à la guerre, remettaient le pouvoir entre les mains des Consuls. Et ils gagnaient les guerres, parce que le pouvoir des Consuls était étendu et fort. » M. Di.

La Serbie et les fautes alliées

Le « Temps » du 21 novembre écrit :

« On a voulu contester certains arguments historiques que M. Lloyd George avait invoqués, pour recommander aux alliés une coordination plus complète. Après la séance d'hier, il serait difficile de ranimer ces discussions pénibles. À propos des précautions militaires qui auraient pu sauver la Serbie, en 1915, M. Asquith s’est borné à dire si le compte rendu télégraphique que nous possédons est complet — que ces précautions n'étaient pas conformes aux idées que professait à l’époque l'autorité anglaise la plus compétente. On le savait, et l’on conçoit que le premier ministre alors tienne à rappeler les avis devant lesquels il s’est incliné. Sed magis amica veritas: si les Alliés avaient envoyé des troupes en Macédoine serbe dès le commencement de l’année 1915, comme le demandèrent sans succès M. Lloyd George et M. Aristide Briand, il est infiniment probable que la Bulgarie n’aurait jamais pris parti contre PEntente, que M. Venizelos n’eût jamais été renversé, que la Roumanie aurait pu intervenir dans des conditions toutes différentes, et.que la guerre aurait été abrégée très sensiblement. Reconnaître la faute de

———————_—_—_—_—_—_— ee ee me eee,

LA SERBIE

1915 est une chose, et dire qui est responsable en est une autre. Nous ne cherchons

nullement à établir les responsabilités, à

moins qu'on ne nous y provoque. Mais nous croyons qu'il ne faut à aucun prix nier

la faute, car sous le régime démocratique.

qu pratiquent les alliés, ce n’est pas par la issimulation qu’on soutiendrait la confiance. »

Un ministre endormi — Les déclarations du baron Burian —

Au moment où tous les Yougoslaves déclarent, avec une unanimité admirable,

w’ils aspirent à la liberté et à l'union des Au Croates et Slovènes en un Etat indépendant, le ministre commun des finances, le baron Burian, a fait au correspondant du «Berliner Tageblatt » (n° du 13 novembre), des déclarations amusantes sur la Bosnie-Herzégovine ainsi que sur la question yougoslave. Pour les deux provinces serbes, dont l’annexion n’a pas encore été rendue parfaite, M. Burian a dit que leur situation par rapport à la Monarchie sera réglée par un accord des deux gouvernements, autrichien et hongrois, et des parlements respectifs. Le peuple de Bosnie-Herzégovine n'existe naturellement pas pour le noble comte magyar. Il n’aura qu’à obéir. Quant à la question yougoslave, il paraît que M. Burian ne se donne pas même la peine de lire les comptes rendus des séances du parlement autrichien. Autrement il n'aurait pas eu l'audace de dire que le mouvement yougoslave n'existe pas comme une réalité, et que le problème de l'unité yougoslave ne se posera qu’au moment où les Serbes, Croates et Slovènes renonceront à leurs noms particuliers et adopteront le nom de Yougosaves!

Nous rappelons cet argument curieux de M. Burian uniquement pour montrer avec quelle insouciance et avec quelle légèreté les maîtres actuels de l’Autriche-Hongrie traitent la lutte de tout un peuple pour la liberté. Ce que le chevalier magyar a oublié cependant d'expliquer et ce qui aurait beaucoup plus.intéressé l’Europe, est ceci : Pourquoi les Serbes, Croates et Slovènes, une fois admis, selon M. Burian, qu'ils ne constituent pas un même peuple, devraientils continuer à gémir dans l'esclavage austro-magyar? À quel titre les Allemands et les Magyars, s’arrogent-ils le droit d’opprimer disons ces trois peuples yougoslaves ? Toute la question est là, et si M. Burian dort, l’Europe et l'Amérique ne dorment pas, nous pouvons le lui garantir.

PETITES NOUVELLES

Notre rédacteur en chef, M. le Dr Marcovitch s’est rendu à Paris pour un court séjour. Pendant son absence le journal sera rédigé par M. Michel-D. Marincovitch, avotat de Belgrade, rédacteur à « La Serbie »,

*

Nous apprenons que M. Michel Stoyanovitch, licencié en Droit de l'Université de Genève vient d'être nommé attaché à la Légation de Serbie à Copenhague. Tout en regrettant de nous voir privés d’un collaborateur très apprécié nous tenons à féliciter M. Stoyanovitch, certains qu'il ne sera pas moins utile dans son nouveau poste.

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FEUILLETON

Dimanche 2 Décembre 1917 - N°48

Michel Carolyi et Oscar Jaszi

Les puissances centrales viennent d’envoyer en Suisse deux émissaires magyars, dont la réputation, l’une ententiste, et l’autre, démocratique, doit servir de carte d’introduction pouf les conversations éventuelles avec les personnages alliés. Le comte Michel Carolyi et le professeur Oscar Jaszi ont en effet reçu du comte Czernin la mission d'expliquer aux Alliés cette paix honorable, sans annexions ni indemnités, dont on parle à Vienne, Budapest et Berlin, Sans jamais en donner les termes précis. Pour bien illustrer la tâche de ces émissaires aux

titres variés, nous croyons utile de rappeler ,

leur idéologie politique faite tout entière pour inspirer la plus grande méfiance. *

Le comte Carolyi, le chef d’une fraction Mu parti de l'indépendance, n’est pas un partisan convaincu de l'alliance austro-allemande. Des causes multiples, qu’il est inutile d'examiner ici, le faisaient pencher vers l’'Entente, et il n’a jamais caché ses sympathies personnelles pour les Anglais et les Français qui lui en imposaient plus que les Prussiens, considérés par lui, du point de: vue mondain, comme des parvenus. Ces sympathies du comte Carolyi pour les puissances de l’Entente se sont cristallisées dans le domaine de la politique étrangère en une conception particulière, qui ne manque pas d'originalité. Comme tous les Magyars, le comte Carolyi estime, lui aussi, que la Hongrie actuelle, où une minorité magyare jugule la majorité non-magyare, doit subsister à l’avenir.

Afin d'assurer à jamais ce pouvoir des Magyars sur les nationalités non-magyares, les Tisza, Lukacs, Andrassy, Féjervary, Apponyi, Hedervary, Wekerlé et d’autres magnats ont lié parti avec les Allemands. Le dualisme était le moyen qui leur assurait la domination dans la Transleithanie, laissant la Cisleithanie à la disposition des Allemands. Deux minorités se sont ainsi emparées du pouvoir intégral, et secondées par la puissante Germanie, elles ont gouverné souverainement dans la monarchie danubienne.

Cet état de choses avait cependant l’inconvénient de mettre les Magyars, dans les questions internationales, à la merci de Berlin. La Hongrie était toute puissante à l'intérieur et personne ne s’opposait au régime de violence et de dénationalisation qu’elle pratiquait envers les non-Magyars. Le prince Bismarck, répondant aux plaintes des Allemands mêmes de Hongrie, a reconnu que l’Allemagne avait un intérêt supérieur à ne pas se mêler des affaires intérieures de la Hongrie. Car, en revanche, dans les questions de la politique extérieure, la Hongrie était soumise complètement aux désirs de Berlin. Le dualisme s’est montré l'instrument très commode pour gagner les Magyars aux plans pangermaniques. La tutelle allemande pesait pourtant lourdement sur les Magyars, d'autant plus que le chemin de Berlin passait par Vienne, et que, au lieu d’un maître seul, Budapest en avait deux. C’est ce qui explique la haine toujours existante, des Magyars contre les Allemands, la haine née de l'impuissance de se séparer des Germains.

Le comte Carolyi estimait cependant que la domination et l’hégémonie magyares en Hongrie pourraient être achetées à meilleur compte des puissances de l’Entente. Il avait l'idée que pour des raisons de politique extérieures, les démocraties occidentales, la France et l'Angleterre, se laisseraient convaincre d'accepter et de reconnaître le pouvoir des Magyars sur la majorité slavoroumaine, si en échange la Hongrie, seule ou avec l'Autriche, se détachait de l’Allemagne et s’alliait avec l'Entente. La présence d’une Russie tsariste et absolutiste dans l’Entente justifiait dans une certaine mesure l'hypothèse d’une Hongrie intégrale faisant partie de l'alliance des démocraties occidentales. Pour faciliter la réalisation de cette combinaison, le comte Carolyi a eu l'inspiration de promettre une démocratisation de la Hongrie, qui, tout en conservant. la domination magyare, donnerait au moins au pays l’apparence d’une démocratie. Ce calcul n'était pas mauvais, du point de vue magyar. On aurait conservé la Hongrie intacte et l’on aurait rejeté la tutelle allemande. La guerre européenne, provoquée brusquement par l’Allemagne et l’AutricheHongrie, n’a pas permis au comte Carolyi de donner à sa conception politique une forme plus concrète. Ce n’est que maintenant, après l'échec du plan primitif germanique, que le comte Carolyi se décide à revenir sur son idée. Le voyage en Suisse a évidemment ce but. Avant la guerre, Carolyi a échoué. Aura-t-il plus de chances aujourd’hui ?

La réponse à cette question n’est pas difficile. D'abord, les idées sur l’indépendance et le droit de tous les peuples de disposer d'eux-mêmes ont pris un tel essor, que l’Entente ne pourrait pas sans se déshonorer, conclure un accord quelconque avec les Magyars et leur livrer ainsi la majorité des habitants de la Hongrie. En second lieu, l'Allemagne a mis pied plus fermement que jamais, en Autriche et en Hongrie, et il ne semble point possible que ces deux puissances, même le voulant, puissent se soustraire à l’étreinte germanique. Ce qui était difficile déjà avant la guerre actuelle, est devenu presque impossible aujourd’hui. Il y a enfin, aussi la question de la confiance personnelle qu’inspire le comte Carolyi. Avant la guerre, il n'était pas suffisamment connu. La guerre l’a obligé à se montrer tel qu’il est. Son actif politique ne contient aucun acte qui pourrait le rapprocher sérieusement de l’Entente. D'abord, comme le comte Tisza a constaté dans son journal, « Igaz Mondo » (voir le « Journal des Débats » du 10 septembre 1917), le parti du Carolyi a poussé en juillet 1914 énergiquement à la guerre avec la Serbie. Pendant la guerre, le comte Carolyi est resté dans toutes ses manifestations politiques, aussi vague qu'il est possible. Son fameux discours devant les électeurs de Czegled, du mois de septembre dernier, ne tendait qu’à la conservation de la Monarchie. Pressé de s'exprimer sur la liberté et l'indépendance des peuples asservis, le comte Carolyi a formulé, au mois d’octobre, l'opinion, que les questions territoriales pourraient être déférées à un tribunal d’ar-

La poésie populaire du peuple serbe est très ancienne. Elle re-

AVE SERBIA — Yovan Doutchitch —

Tu vis en nous, adorable patrie ! : Nos yeux ont le reflet de tes couchants si beaux. Nous portons ta douleur dans notre âme meurtrie Et ton soleil sous nos drapeaux.

Tes éclairs sont dans nos épées

Tes fleuves élevés coulent dans notre sang ; Tes vents sont dans les épopées De notre gouslar frémissant.

Oui, bien que refoulés par l'adversaire inique Nous sentons battre encor ton cœur, Et nous luttons à Salonique Pour revoir ton beau front vainqueur.

O Serbie, Ô mère féconde,

Tu nous formas avec ardeur Pour être les premiers du monde Dans la joie et dans la douleur.

O Serbie, adorable mère,

T'abandonner serait mentir. l : D'une goutte de sang et d'une larme amère Toi qui fis un héros, toi qui fis un martyr !

Nous marcherons vers la victoire, Pour toi, dans un effort puissant, Mère, en retour du lait que tu nous as fait boire Nous donnerons tout notre sang. Adapté en vers françäis par GÉNINA CLAPIER

Membre de l'Académie de Vaucluse Chevalier de Saint-Sava,

LA POÉSIE NATIONALE SERBE

par Milan-J. Andonovitch, professeur à l'Université de Belgrade

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” ,

« Ni l’Iliade, ni la chanson de Roland n’exerce une influence bien sensible sur ie courage militaire des Grecs et des Français d'autrefois, En Serbie, au contraire, les poésies consacrées à la mémoire du tzar Lazare ou de Marco, Kralievitch sont restées vivantes, transmises par la tradition orale et forment le corps des pensées d’un petit peuple de soldats. »

Alexis François.

Charles Spitteler disait, dans une conférence tenue le 14 décembre 1914 à là « Nouvelle Société Helvétique » :

« Nous Suisses, avons d’autres conceptions de la valeur et du droit à l'existence des petits peuples et des petits Etats. Pour nous, les Serbes ne sont pas une « bande «, mais un peuple aussi respectable que n'importe quel autre. Les Serbes ont un passé héroïque. Leur poésie nationale égale celle des autres peuples et leur est peut-être même supérieure. Car aucune nation, depuis Homère, n’a créé une poésie épique aussi merveilleuse qu'eux. »

Comme tout individu, chaque peuple possède une âme. Et comme cette particularité psychologique peut être plus où moins accentuée chez l'individu, il en est de même chez un peuple. Les circonstances dans lesquelles vécut le peuple serbe ont été favorables au développement de sa poésie nationale. L'origine de la poésie populaire est dans la langue et dans la légende. Il est évident que tout chant, même populaire, doit avoir un auteur ; mais il y a, dans la période de développement des peuples, tine époque où l'individu ne se sent pas encore comme tel, et où le peuple vit comme une nichée d'oiseaux, sans individualité distincte, aussi bien au point de vue mental que physique. Et

| c'est cet esprit collectif dont la poésie populaire est l’image fidèle. L’in-

dividualité d’un peuple se reflète le plus exactement dans cette poésie populaire qui est l'expression la plus profonde de sa vie intime.

monte aux temps les plus reculés de l’histoire païenne de l'antiquité slave. L'immigration des Serbes dans les pays méridionaux ne s’est pas effectuée sans marquer de son empreinte la mentalité du peuple et ses talents poétiques. Il est à supposer que la nature des contrées nouvellement conquises par les Serbes a une certaine influence sur leur poésie. Pourtant, l’origine immédiate de la poésie nationale serbe doit se trouver — comme chez les Grecs de l'antiquité — dans la mythologie et les cultes païens, que les Serbes avaient en commun avec les autres branches de la famille slave ; car aujourd’hui encore on retrouve des traces de cette poésie mythologique. Et ceci constitue un point capital du développement de la poésie populaire de notre race. Le professeur V. Jagié dit à ce sujet: « La poésie épique est un genre de poésie qui ne nait généralement pas dans les époques tardives de l’histoire d’un peuple, mais qui a son origine dans les temps les plus reculés, les plus primitifs, je dirai même dans l’état naturel d’un peuple. Les peuples serbe et croate — le premier surtout — doivent avoir été dotés dès leur origine du sens poétique, et plus spécialement épique. lis ont dû apporter cela avec eux de leur première patrie septentrionale.

La nature riante du Midi et le contact avec les vestiges d’une ancienne civilisation auront sans doute influencé leur talent poétique en leur donnant, par la variété des images rencontrées, un sens plus élevé de la forme et de la symétrie. Ainsi se développaïit peu à peu, dans le Midi surtout, ce type plus spécialement serbe de la poésie épique populaire, qui arriva à un tel point de perfection, qu’il ressemble davantage à l’épique homérienne qu’à la poésie nationale russe. »

Cette influence de la nature a été tellement fortifiée par les événements de l’histoire, que la poésie populaire put se développer plus amplement, D'abord les épisodes de l’histoire serbe ont eu une influence plus grande sur notre peuple que cela n’a été le cas pour d’autres nations, Si l’on considère l’histoire du peuple serbe, on verra qu’elle ne RS qu'une série ininterrompue de luttes pour la liberté de l'exisconte es Turcs Et mer aimant à l'époque des guerres

: que firent ces guerres sur le peuple