La Serbie
S # Dieu soit loué ! », Dans le patriote indomptable, brisé mais invaincu, je reconnais la figure symbolique du peuple serbe et de son vieux roi. — Mais cette passion humiliée, trahie, flagellée, crucifiée — pour me servir du mot que vous avez entendu tout à l'heure de la bouche d'un officier mutilé — cette passion de tout un peuple et d’un roi fraternellement unis dans l'infortune comme dans la prospérité, ne verra-t-elle pas luire l'aurore de Pâques ? La grand’ mère serbe ne fissera-t-elle pas à nouveau de la laine de ses brebis, des vêtements de . fête pour ses petits-fils? Le vieux Stoian, avant de fermer les yeux, ne louera-t-il pas Dieu pour sa {famille rajeunie, pour sa maison redressée, pour ses champs retrempés, pourses troupeaux rassemblés ?
Oui, chers amis serbes, tous nos vœux, en ce jour anniversaire, vont à cette résurrection nalionale, à Ja flamme rallumée de vos loyers. Je crois que des vœux prononcés devant le iribunal de la conscience prennent une force agissante qui dédaigre la banalité des discours de banquet. Le geste commode du convive qui lève son verre, peut devenir grave comme un rite et efficace comme une prière de tant d'êtres pensants. Ah ! qu'il vienne le jour où nous viderons joyeusement ensemble une coupe pleine du vin qui coule des collines sacrées de la Serbie.
Vos amis suisses boivent üu foyer de vos familles, que les fils sauvés fassent honneur au foyer qui leur sera rendu, et pour
: lequel une sagesse prévoyante, après qu'ils ont tous prouvé leur bravoure, leur endurance, les a conservés! Qu'ils mesurent leur responsabilité, qu'ils se préparent, ces jeunes hommes, à la grande tâche de continuer les.ancêtres et de remplacer les morts ! « Ces garçons “serbes, voyez-vous, me disait, il y a quelque dix ans, un logeur
d'étudiants de notre ville —.ils sont parfois:
un peu sauvages, mais ils ont un instinct chevaleresque...!» — Que ces fils de la Serbie douloureuse éduquent eux-mêmes leur force dans la discipline de l'instinct chevaleresque de leur race! Je revois en cet instant l’image d’un de ces fils vigou“reux et beau de votre peuple de montagnards et de paysans, afliné par la connaissance puissante de l’histoire, de la politique et de l’art : Jean Doutchitch, comme, en mai 1914, à Rome, sur la place de Venise, il me disait, les veux brillants: Ne me reconnaissez-vous pas ? Je suis Jean Doutchitch, votre ancien étudiant, qui suis revenu de Paris, quand vous étiez recteur de l’Université de Genève, pour avoir mes diplômes signés par vous ? » Et le lendemain Jean Doutchitch, qui quittait votre légation de Rome pour votre légation d'Athènes, me faisait, en archéologue consommé, les honneurs du forum des Césars. Mon cher Jean Doutchitch, joyeux et savant, mon sage et touchant conteur, Zivoin Datchitch, confident et conseiller de l’âme populaire serbe. Je rapproche vos noms pour symboliser l’action et la pensée, le
rêve et la volonté dans le souhait que je
forme pour toute la jeunesse serbe qui |attend, afin qu'elle rallume et nourrisse Sa flamme épuisée, le foyer familial !
Vos amis suisses, messieurs, boivent au foyer de cette famille royale. Comment pourrions-nous oublier que le roi Pierre fût longtemps notre hôte, attentif, uffable et discret, bon tireur dans nos sociétés de tir, commensal de nos banquets, démocra-
tique, hôte bienvenu de nos maisons pa-
triciennes. Ses enfants suivaient nos écoles et gambidaient avec Îles nôtres sous Îles vieux ormeaux du Bourg-de-Four, à l'heure de midi. Quelques-unes de ces images paisibles et lointaines de la cité du refuge,
ont-elles passé devant les yeux de votre.
vieux roi, pendant les longues heures de la retraite d’Albanie au pas lent des bœufs et des gardes muets ?
Ah! que ce foyer royal soit, rallumé, dans. sa capitale, par des mains encore fermes, devant ses regards illuminés de la joie suprême ! Que ce foyer soit orné bientôt par la présence d’une jeune reine,
compagne et récompense de votre vaillant.
généralissime ! Vos amis suisses boivent au foyer res-
tauré de la science et dela culture serbes,
à l'Université de Belgrade, dont plusieurs maîtres sont ici présents, dont d’autres, dispersés au service de leur pays, sont demeurés nos collègues par amitié. Les hautes écoles serbes et yougoslaves laboureront, ensemenceront et moissonneront un jour, au profit de l'humanité et à l'honneur de votre race, les champs fécondés de votre pensée nationale. Des douleurs de l'exil, de l'exemple des morts, des résistances opiniâtres, des victoires réparatrices; rien ne sera perdu pour elle. Et la langue de cette pensée nationale, la langue maternelle, antique, religieuse et-forte, se sera enrichie par tant d'expériences et armée pour toutes les conquêtes pacifiques de l'esprit.
Notre vœu enfin, salue le foyer de Ja grande patrie serbe. C'est l’âme de Ja Yougoslavie tout entière qui brillera et qui rayonnera sur cet autel domestique et national. L'heure viendra qui tout paiera. Les feux de joie de la bonne nouvelia s’allaumeront, de colline en colline, des bords de l’Adriatique jusqu’à la Maritza. L'appel de la liberté à jamais conquise, résonnera jusqu’à vos plus hauts pâturages. Il ira rallier les derniers fugitifs au fond des vallons et des forêts. Ah! liberté, que des crimes ont été, depuis quatre années, perpétrés contre toi! Mais l’éternelle fiancée de Kossovo, à qui vont, frères serbes, tous vos enthousiasmes et tous vos sacrifices, sortira joyeuse, sur le berceau de la génération future. Que de grandes choses en retour de tant de crimes, tant d'erreurs et tant d’expiation, que de grandes choses ont été déjà accomplies et se préparent, de la côte sibérienne à l’Yser, de l'Yser à Verdun, de Verdun à la Piave, de la Piave à Monastir !
Comment les cœurs de vos amis suisses
: | Samedi 20 Juillet 198 — Ne x
M auhA-SERBIE. |
ve seraient-ils pas remplis d'admiration et d'espoir, pour fêter l'anniversaire de votre roi citoyen, démocrate et soldat ? L'histoire de la Confédération Suisse a commencé le
jour où l’archer lègendaire refusa de saluer
le chapeau d'un bailli autrichien. Et c'est une de ses grandes journées, illustrée par le peintre Hodler aux murs de notre Musée
national, c’est une retraite fameuse, C’est
la gloire des Suisses de Marignan. Votre bravoure, comme vos souffrances, ont dépassé la bravoure et les épreuves des anciens Suisses, Mais le même souflle à rempli leur poitrine etes nôtres, et une mêmefoi soutient les énergies de vas soldats.
Que Dieu, comine ‘dit votre dicton populaire, u'impose pas à l'héroïque Serbie tout ce qu’elle peut supporter ! Que le jour de la délivrance et le retour s'annonce bientôt, qui restaurera le foyer serbe! La flamme, la femme, la famille, les biens le,
plus précieux soient rendus à toutes vos,
demeures, de la chaumière au palais royal.
Les Bulgares et le traitement des prisonniers serbes
Notre ami et collaborateur. M. Michel Marincovitch publie dans le « Genevois » du 2 juillet de nouveaux détails sur les procédés bulgares envers les prisonniers militaires et civils.
« Pour démontrer, écrit M. Marincovitch, combien de mauvaise volonté les Bulgares avaient mis dans toutes ces queslions, il suffit de remarquer ici que pendant deux ans lé gouvernement bulgare n'a pas voulu “connaître l'existence de la Croix-Rouge serbe et ne l'avait fait que tout récemment, sur l'intervention de la Croix-Rouge internationale el sous. pression de lopinion publique des pays neutres qui se montrèrent indignés de cette attitude. En effet, ce n'est que le 19 juin 1917 que du côté bulgare on reconnut l'existence de la Croix-Rouge serbe en promettant de communiquer directement avec elle.
Cependant, on n’a point agi suivant les promesses car, même aujourd'hui, la CroixRouge serbe ne peut communiquer avec la Croix-Rouge bulgare que par l'entremise du comité international.
En ce qui concerne la question du traitement des prisonniers et des internés civils le seul moyen qui aurait permis de les secourir efficacement était d'établir préalablement Îles listes complètes des prisonniers et des internés. Ceci étail indispensable d’abord pour établir que ces personnes vivent encore, ensuite pour qu’on puisse leur transmettre des nouvelles de leur famille et enfin pour qu'on puisse leur envoyer des subsides en argent et en vivres.
Tous les belligérants ont établi ces l'stcs dès le commencement de la guerre et il n’est que le gouvernement bulgare qui, durant deux ans. avait refusé d'accomplir ce devoir élémentaire.
Lorsque. par suite des démarches réitérées, il avait. enfin consenti à traiter cette question, une conférence des délégués ser bobulgares a eu lieu à Genève, sous la présidence du président du comité international les 14, 17, 21 et 23 novembre 1917. mais le protocole de cette conférence n'a point été jusqu'à présent ratifié par le gouvernement bulgare malgré que du côté serbe, il ait été ratifié depuis longtemps.
En vertu de l’article 1er dudit proto-
cole le gélégué bulgare s’est engagé à exo. | dier au comité international Les listes Dé lètes des prisonniers militaires serbes
‘Du côté serbe les listes ont cependant ei
déposées au comité international pour êlre
remises à la Croix-Rouge bulgare. $ Ce n’est que dernièrement que la Croÿ
Rouge bulgare a déposé les listes CON{enan)
environ 9000 noms des prisonniers Serbes L encore tous les prisonniers ont élé Dé lablement débaptisés, leurs nomis bulgare. et rendus pour ainsi dire MÉCONNAÏSS A has Aussi ces listes ne sont presque d'aucune utilité. Je {
Ainsi, bien que les Bulgares Drétendent s que la correspondance entre Les pris miers «et les internés serbes et L°ur l'amille — population civile — en Serbie, se ti régulièrement, äls n'en ont fourni aucune preuve jusqu'ici et on n'a pas eu jus à présent aucune confirmation que celle cs respondance a été vrañment permise ef ren: due possible. par Les autorités bulgares,
Quant à la correspondance entre les px sonniers serbes et leur famille en dehops de. la Serbie Les chiffres que nous in. diquerons ci-dessous ‘démontreront } mieux comment les Bulgares se sont acquittés de leur devoir.
Aänsi, Landis que la Croix-Rouge &crhe avail remis, jusqu'à présent plus de 20.09 lettres et cartes aux prisonniers bulga les prisonniers serbes en Bulgarie n'en ont reçu en tout que 1{ cartes el lettres
Enfin, pour terminer. je dirais, en @ que concerne l'envoi de largent qu'il 4 été envoyé jusqu'ici dans les rég'ons enyas hies, par lentremsie de la banque natio: nale de Bulgarie, plus de douze millions de francs ‘12.000 000) et qu'on wa reçu jus qu'à présent La confirmation que pour Le* montant d'un million et demi: Ces chiffres se passent de tout commentaire.»
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La terreur bulgare flétrie par la Skoupchtinn |
À la séance de la Skoupchlina du 12 avril, le ministre de l'Intérieur, M. Yova novitch, en répondant aux interpellations des députés Tia -Ilitch et Svétozar K Georgévitch, sur les soulèvemients survient dans la Serbie occupée, a exposé les cas ses, le déroulement et les conséquences des rébellions qui se sont produites, sur tout dans la Serbie orientale et méridi nale.
Après les débats. le député Ilia [lite a proposé la motion suivante, pour passer à l’ordre du jour, motion qui a été adopté
« La Skoupchtina a entendu l'exposé di Gouvernement sur les horreurs et las atro cilés commises par les Bulgares dans Serbie méridionale et orientale.
« En s’inclinant avec un respect plein de piété devant l’ombre des victimes inno centes qui tombèrent en défendant l'honneur national æt !e nom serbe la Skoupchtina attire l'attention du mondef civilisé entier sur le martyre d'une race héroïque qu'on se hâte d'exterminer d'une façon systématique.
«En reprenant l'ordre du jour, la Skoupchlina adresse l'expression de sa pro fonde condoléance aux familles affligées, et endoloriès, ainsi que l'expression de sa piété au souvenir des victimes tombés et elle espère que le monde entier, animé de sentiments humanitaires. accourra dl
secours de la population: serbe. » #
FEUILLETON
CEST À MOI
Tous alliés participent à l’action sur le front de, Salonique, et lon voit fraterniser et se mêler troupes :serbes, __ françaises, anglaises, russes et italiennes. Les soldats
serbes, particulièrement lestimés de leurs camarades alliés, correspondent avec ceux-ci par la mimique plus que par la parole.
Dans un régiment anglais, des vols avaient été ‘constatés : objets dérobés à des soldats dans les magasins ou dépôts. el revendus. enisuite, à vil prix.
Les chefs s’émurent et ordonnèrent l’arrestalion de tout soldat en possession d’un effet militaire ne lui appartenant pas. En même temps, ils interdisaïent l’acquisition et le port de pièces d’habillement de provenance anglaise, cela pour mettre fin au commerce illicite de certaïns soldats du Royaume-Uni.
Un jour, un soldat serbe, ignorant tout de ces iordres acquit à bas prix d’un soldat anglais, un manteau d’umiforme qu’il porta librement. On devine la suite: arrestation du soldat serbe par une sentinelle, comparution devant le commandant anglais, et interrogatoïre du délinquant, surpris de Se savoir en faute, et peu (disposé à abandonner le manteau:
— Je lai payé 40 drachmes, essaye-til d'expliquer. J'ignore le nom de mon vendeur. Mais je sais (que Le man-
ce cri:
a teau m'est fort utile, à cause du froid. Donc, je Le garde.
I1 fallut bien, pourtant, exécuter les ordres du commandant, rendre l’objet acquis en toute bonne foi. Cela ne se fit pas (sans agacer de soldat serbe, qui eut vite fait de constater que son équipement enlier, comme aussi son armement, Étaïent élrangers. (En effet, l'armée serbe fut (équipée et armée:par les Anglais et les Français.) Voilà donc notre homme qui ôte sa coiffure, en (disant: — Ce n’est pas à moë, mais aux Français. Puis, continuant de se dépouiller de son uniforme, il entasse là tunique, pantalons, chaussures, avec le même refrain: — Voilà qui ne m'appartient pas, à moi, Serbe, ini {cela ni cette autre chose.
Mais, presque nu, il se frappe alors la tpoitrine ‘et pousse
+
— Cela, je ne vous le donne pas, car cest bien à moi. Ma mère serbe me l’a donné!
Le commandant, au claïr maintenant sur les sentiments de son subordonné, l'embrasse et lui dit:
— Brave soldat serbe, reprends tout, c'est ton bien] A avenir, cependant, n'achète plus rien aux militaires.
Ainsi, d'honneur fut sauf, bien que le voleur ne put être découvert. {
Une règle de droit ne dit-elle pas: « Mieux vaut ilaisser la liberté aux criminels que de condamner un innocent »?
È { D. P.
La question yougoslave et la vallée Morava-Vardar
On connaît la compétence de M. Gauvain dans les çquestions balkaniques el sud-européennes. A côté des articles brillants que l'éminent publiciste français publie chaque jour dans le « Journil” des Débats», des études plus approfondies, telles que celle suf les Yougoslaves (1), sont de véritables bréviaires pour les diplo matcs qui désirent Ss'instruire. M. Gauvain y a passé en rl tous des éléments du problème yougoslave, examiné toutes lé manifestations de l'unité nationale des Serbes, Croates ei Slovènés, et apprécié à leur valeur les facteurs d'ordre matériel ef moral | d de l'union projetée.
Nous extrayions de cette étude remarquable les passages qui #4 rapportent à l'issue nécessaire vers la mer Egée, issue 6000 mique indispensable à la Serbie et à la Yougoslavie.
« Aujourd'hui, dit M. Gauvain, tout le imonide connaît la Serbièn les vicloires sur les Tures en 1912, sur les Bulgares en 19 sur les Autrichiens durant la première année de la guerre actu ont porté son nom dans le monde entier. Le roi Pierre Ier ét prince-régent Alexandre sont des princes aussi populaires en Fran que le roi des Belges et le roi d'Angleterre. Les calamités l'autcmne de 1915, l’effroyable retraite d'Albanie, l'exode à Corfotl et à Salomque ont valu au peuple Serbe, parmi les Alliés, pet être encore plus de sympathie que la gloire des années précédente Mais on sait moins ce que fut l'empire serbe au moyettäf ” quelles traces il a laissées.
(1) «La question. yougoslave », s Auguste Gauvain: \ de Paris » du 15 mars 1918). LL : ! |